Mort et vie de Moïse

וזאת הברכה

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Image credit: The Prince of Egypt (1998) © DreamWorks

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Vezot Haberakha 

Et c’est ainsi que meurt Moïse, seul sur une montagne avec D.ieu comme il le fut il y des années lorsque, berger à Midian, il aperçut un buisson ardent et entendit l’appel de D.ieu qui changea sa vie, ainsi que les horizons moraux du monde.

C’est une scène poignante de par sa simplicité. Il n’y a pas de foule, il n’y a pas de larmes. Le sentiment de proximité mais de distance est presque accablant. Moïse aperçoit la terre de loin mais sait depuis un moment déjà qu’il ne pourra jamais l’atteindre. Ni sa femme ni ses enfants ne sont là pour lui dire au revoir ; ils ont disparu du récit bien avant. Sa sœur Myriam et son frère Aaron, avec qui il a partagé le joug de la gouvernance pendant tellement de temps, sont déjà décédés. Son disciple Yéochoua devient son successeur. Moïse est devenu l’homme solitaire de la foi, excepté qu’avec D.ieu, nul n’est seul.

Il s’agit d’un moment très triste, mais la nécrologie que la Torah lui donne, que ce soit Yéochoua qui l’ait écrit, ou qu’il l’ait écrit lui-même sur ordre divin avec des larmes aux yeux[1], est sans précédent : 

Mais il n’a plus paru, en Israël, un prophète tel que Moïse, avec qui le Seigneur avait communiqué face-à-face, eu égard à tant de signes et de prodiges que le Seigneur lui donna mission d’opérer en Egypte, sur Pharaon, ses serviteurs et son pays entier ; ainsi qu’à cette main puissante, et à toutes ces imposantes merveilles, que Moïse accomplit aux yeux de tout Israël.

Deutéronome 34:10-12

Moïse fait rarement partie de la liste des personnes ayant eu le plus d’influence dans l’Histoire. Il est plus difficile de s’identifier à lui qu’à Abraham et sa dévotion, David et son charisme, ou Isaïe avec ses symphonies d’espérance. Le contraste entre la mort d’Abraham et la mort de Moïse ne pourrait être plus marquant. À propos d’Abraham, la Torah dit :

“Abraham défaillit et mourut, dans une heureuse vieillesse, âgé et satisfait ; et il rejoignit ses pères.”

Genèse 25:8

La mort d’Abraham fut sereine. Bien qu’il soit passé par plusieurs épreuves, il avait vécu pour voir la première réalisation des promesses que D.ieu lui avait faites. Il avait un enfant, et il avait acquis au moins le premier lopin de terre en Israël. Dans le long périple de ses descendants, il avait fait le premier pas. Il y a un sentiment d’une histoire terminée. 

À l’inverse, les vieux jours de Moïse sont tout sauf sereins. Au dernier mois de sa vie, il met au défi le peuple avec une vigueur intacte et une candeur naturelle. Au moment même où le peuple s’apprête à traverser le Jourdain et à rentrer sur la terre, Moïse le met en garde des défis qui l’attendent. Il explique que la plus grande épreuve ne sera pas la pauvreté mais l’abondance, pas l’esclavage mais la liberté, pas l’errance dans le désert mais le confort d’un foyer. En lisant ces mots, cela nous rappelle le poème de Dylan Thomas, “N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit”. Il y a autant de passion dans ses paroles à sa cent vingtième année de vie que lors de ses jeunes années. Ce n’est pas un homme prêt à prendre sa retraite. Jusqu’au bout, il continue à mettre au défi à la fois le peuple et D.ieu.

Qu’apprenons-nous de la vie et de la mort de Moïse ?

1. Pour chacun d’entre nous, même pour le plus grand, il y a un Jourdain que nous ne traverserons pas, une Terre promise dans laquelle nous n’entrerons pas, une destination que nous n’atteindrons pas. C’est ce que Rabbi Tarfon voulait dire lorsqu’il s’est exclamé : ce n’est pas à toi de finir cette tâche, mais cela ne te donne pas la possibilité de t’en désister (Michna Avot 2:16). Ce que nous avons commencé, les autres ont continué. Ce qui compte, c’est que nous avons démarré le périple. Nous ne sommes pas restés à ne rien faire.

2. “Nul homme ne connaît son lieu d’enterrement” (Deut. 34:6). Quel contraste entre Moïse et les héros des autres civilisations dont les tombes deviennent des monuments, des sanctuaires, des lieux de pèlerinage. C’est précisément pour éviter cela que la Torah insiste de manière explicite que personne ne sache où Moïse n’est enterré. Nous pensons que la plus grande erreur consiste à vénérer des êtres humains comme si c’était des dieux. Nous admirons les êtres humains, nous ne les vénérons pas. Cette différence est tout sauf petite.

3. D.ieu seul est parfait. C’est ce que Moïse ne voulait pas que les gens oublient. Même l’être humain le plus vertueux n’est pas parfait. Même Moïse a fauté. Nous ne savons toujours pas en quoi consistait son péché (il existe plusieurs opinions) mais c’est pour cela que D.ieu lui a dit qu’il n’entrera jamais en Terre promise. Aucun homme n’est infaillible. La perfection appartient à D.ieu seul. C’est seulement lorsque nous honorons cette différence essentielle entre le ciel et la terre que D.ieu peut être D.ieu, et que les hommes peuvent être des hommes.

4. La Torah ne masque pas pour autant la faute de Moïse. “Puisque vous n’avez pas assez cru en moi pour me sanctifier…” (Nombres 20:12) La Torah ne cache les péchés de personne. Elle est honnête et sans peur du plus grand des géants. De mauvaises choses se produisent lorsqu’on essaie de cacher les péchés des gens. C’est la raison pour laquelle il y a eu autant de scandales récemment dans le monde religieux, certains à caractère sexuels, financiers ou autres. Lorsque les religieux cachent la vérité, ils le font pour les meilleures raisons. Ils cherchent à empêcher un ‘hilloul Hachem. Le résultat est inévitablement un plus grand ‘hilloul Hachem. Un tel moralisme, consistant à nier les défauts des plus grands, mène à des conséquences qui sont laides et mauvaises, éloignant les honnêtes gens de la religion. La Torah ne cache pas les péchés des gens. Et cela ne devrait pas être notre cas non plus.

5. Il y a plus d’une manière de vivre une bonne vie. Même Moïse, le plus grand des hommes, ne pouvait pas diriger seul. Il avait besoin des talents de médiateur d’Aaron, du courage de Myriam, et du soutien des soixante-dix anciens. Nous ne devrions jamais poser la question : pourquoi ne suis-je pas aussi grand qu’Untel ? Nous avons tous en nous quelque chose, un talent, une passion, une sensibilité qui nous rend ou qui pourrait nous rendre grand. La plus grande erreur est d’essayer d’être quelqu’un d’autre au lieu d’être soi-même. Faites ce dans quoi vous excellez, puis entourez-vous de personnes compétentes là où vous êtes faible.

6. Ne perdez jamais l’idéalisme de votre jeunesse. La Torah dit de Moïse à l’âge de cent vingt ans : “son regard ne s’était point terni, et sa vigueur n’était point épuisée” (Deut. 34:7)

Je pensais qu’il s’agissait de deux phrases complémentaires jusqu’à ce que je me rende compte que la première vient expliquer la seconde. Le regard de Moïse ne s’était point terni car il n’a jamais perdu la passion de la justice qu’il avait eu jeune homme. Cette passion est toujours là, aussi vigoureuse dans le Deutéronome que dans l’Exode. Nous sommes aussi jeunes que nos idéaux. Cédez au cynisme et vous vieillirez rapidement.

7. Au buisson ardent, Moïse a dit à D.ieu : “je ne suis habile à parler… car j’ai la bouche pesante et la langue embarrassée.”. Dès qu’on arrive au Deutéronome, le livre intitulé Devarim “paroles”, Moïse est devenu le prophète le plus éloquent. Certains sont déconcertés par cela. Ils ne devraient pas l’être. “Qui a donné une bouche à l’homme? Si ce n’est moi, l’Éternel? Va donc, je seconderai ta parole et je t’inspirerai ce que tu devras dire.” (Ex. 4:11-12). D.ieu a choisi quelqu’un qui n’était pas un homme éloquent, afin que lorsqu’il parle, les gens réalisent que ce n’est pas lui qui a parlé, mais D.ieu qui parlait à travers lui. Il ne prononçait pas ses propres paroles, mais les paroles de D.ieu.

C’est également la raison pour laquelle D.ieu a choisi un couple qui ne pouvait pas avoir d’enfants, Abraham et Sarah, pour devenir les parents du premier enfant juif. C’est la raison pour laquelle Il choisit un peuple dont la piété n’était pas évidente pour devenir les témoins de D.ieu dans ce monde. La plus grande forme de piété est celle de s’ouvrir à D.ieu afin que Ses bénédictions affluent à travers nous dans ce monde. C’est la raison pour laquelle les prêtres bénissaient le peuple. Ce n’étaient pas leur bénédiction. Ils n’étaient que le véhicule de la bénédiction de D.ieu. Le plus grand accomplissement auquel nous pouvons aspirer est de s’ouvrir à l’autre et à D.ieu avec amour, de façon à ce que quelque chose de plus grand que nous-même en découle à travers nous.

8. Moïse a défendu le peuple. L’appréciait-il ? L’admirait-il ? Le peuple l’appréciait-il ? La Torah ne nous laisse aucun doute sur les réponses à ces questions. Mais il le défendait avec toute la passion et la force possible. Même lorsqu’il fautait. Même lorsqu’il n’était pas fidèle à D.ieu. Même lorsqu’il a façonné un Veau d’or. Il a risqué sa vie pour le protéger. Il a dit à D.ieu : “Si tu voulais pardonner à leur faute !… Sinon, efface-moi du livre que tu as écrit.” (Ex. 32:32) Selon le Talmud, D.ieu a enseigné cette leçon à Moïse au tout début de sa carrière. Lorsque Moïse a dit au peuple “Il ne me croira pas” (Ex. 4:1), D.ieu a dit : “Ce sont des croyants, fils de croyants, et en fin de compte, ce sera toi qui ne croira pas”[2]

Les dirigeants dignes d’admiration sont ceux qui défendent le peuple, même les non orthodoxes, même les laïques, même ceux dont l’orthodoxie est différente de la leur. Ceux qui sont dignes de respect sont ceux qui donnent du respect. Ceux qui haïssent seront haï, ceux qui dédaignent l’autre sont ceux qui seront dédaignés, et ceux qui condamnent seront condamnés. Il s’agit d’un principe de base dans le judaïsme : middah kenegged middah. Ceux qui sont vertueux sont ceux qui aident les autres à le devenir. Moïse a enseigné le peuple juif à devenir vertueux.

Le plus grand hommage que la Torah rend à Moïse est de l’appeler eved Hashem, le serviteur de D.ieu. C’est la raison pour laquelle le Rambam dit que nous pouvons tous devenir aussi grand que Moïse[3]. Car nous pouvons tous servir. Nous sommes aussi grands que les causes que nous défendons, et lorsque nous servons avec une vraie humilité, une Force plus grande que nous-même coule en nous, faisant descendre la présence divine dans ce monde.


[1] Pour en savoir plus, lire Baba Batra 15a.

[2] Chabbat 97a.

[3] Michné Torah, Hilkhot Téchouva 5:2.


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1. Laquelle de ces huit idées vous parle le plus ?

2. Pouvez-vous proposer des enseignements additionnels que nous pouvons apprendre de Moïse ? 

3. Comment pouvons-nous être comme Moïse, en enseignant aux autres à atteindre la grandeur ?

Wohl Legacy; Empowering Communities, Transforming Lives
With thanks to the Wohl Legacy for their generous sponsorship of Covenant & Conversation.
Maurice was a visionary philanthropist. Vivienne was a woman of the deepest humility.
Together, they were a unique partnership of dedication and grace, for whom living was giving.

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