Pourquoi les civilisations meurent

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Tzav5771, 5777, 5784

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Dans The Watchman’s Rattle, sous-titré Thinking Our Way Out of Extinction (Sortir de l’extinction), Rebecca Costa livre une explication fascinante sur la raison pour laquelle les civilisations meurent. Lorsque leurs problèmes deviennent trop complexes, les sociétés atteignent ce qu’elle appelle un seuil cognitif. Elles ne peuvent tout simplement pas tracer une voie entre le présent et l’avenir.

Elle prend l’exemple des Mayas. Pendant près de 3500 ans, entre 2600 et 900 avant l’ère commune, ils développèrent une civilisation extraordinaire, s’étendant sur les actuels Mexique, Guatemala, Honduras, Salvador et Belize, avec une population estimée à 15 millions de personnes.

Non seulement ils étaient experts en poterie, en tissus, en architecture et en élevage, mais ils développèrent également un système de calendrier cylindrique sophistiqué, avec des cartes célestes pour suivre le mouvement des étoiles et prédire les cycles météorologiques. Ils avaient leur propre forme d’écriture ainsi qu’un système mathématique avancé. Plus impressionnant encore, ils développèrent une infrastructure de distribution d’eau impliquant un réseau de réservoirs complexes, ainsi que des canaux, des barrages et des digues.

Puis soudainement, pour des raisons que nous ne comprenons pas complètement, tout le système s’effondra. Entre la moitié du huitième et du neuvième siècle, la majorité du peuple Maya a tout simplement disparu. Il y a eu de nombreuses théories pour tenter de l’expliquer. Cela aurait pu être dû à une sécheresse prolongée, une surpopulation, des guerres fratricides, une épidémie dévastatrice, des pénuries alimentaires ou une combinaison de ces facteurs, voire d’autres. D’une manière ou d’une autre, après avoir survécu pendant près de 35 siècles, la civilisation Maya s’effondra et disparut.

L’argument de Rebecca Costa est que, quelle que soit la cause, la chute du peuple maya, comme la chute de l’empire romain, et de l’empire khmer au Cambodge au treizième siècle, se produit parce que les problèmes devinrent trop nombreux et compliqués pour le peuple de cette époque et de ce lieu à résoudre. Il y eut une surcharge cognitive, et les systèmes s’effondrèrent.

Cela peut arriver à n’importe quelle civilisation. Elle affirme que cela peut également arriver à la nôtre. Le premier signe d’une chute est une impasse. Au lieu de résoudre ce que tout le monde perçoit comme un problème majeur, les gens continuent comme à l’habitude et ne font que transmettre leurs problèmes à la prochaine génération. Le second signe est un repli sur l’irrationalité. Puisque les gens ne peuvent plus gérer les faits, ils se réfugient dans des consolations religieuses. Les Mayas offrirent des sacrifices humains. Les archéologues ont découvert d’horribles preuves de sacrifices humains à grande échelle. Il semblerait que, incapables de résoudre leurs problèmes de manière rationnelle, les Mayas se soient concentrés sur le fait d’apaiser les dieux en leur offrant maniaquement des sacrifices. Les Khmers ont fait de même. 

C’est ce qui rend le cas des juifs et du judaïsme fascinant. Ils se confrontèrent à deux siècles de crise sous le joug des romains entre la conquête de Pompée en -63 et la chute de la rébellion de Bar Kokhba en -135. Ils étaient désespérément divisés. Bien avant la grande rébellion contre Rome et la destruction du second Temple, les Juifs s’attendaient à un cataclysme majeur.

Ce qui est remarquable, c’est qu’ils ne se sont pas focalisés de manière obsessionnelle sur les sacrifices, comme les Mayas et les Khmers. Avec leur Temple détruit, ils se sont concentrés à la place sur la recherche de substituts pour les sacrifices. L’un était la guemilout ‘hassadim, des actes de bonté. Rabban Yohanan ben Zakai réconforta Rabbi Josué qui se demandait comment Israël pourrait expier ses péchés sans sacrifices, avec les paroles :

“Mon fils, nous avons une autre expiation aussi efficace que cela : ces actes de bonté, tel qu’il est écrit (Osée 6:6), “je désire la bonté et non pas le sacrifice.”

Avot de Rabbi Natan 8

Un autre était l’étude de la Torah. Les Sages ont interprété les mots de Malakhi, “En tout lieu des offrandes Me sont présentées,” (Malakhi 1:11) pour faire références à des érudits qui étudient les lois des sacrifices (Menakhot 110a).

“Celui qui récite l’ordre des sacrifices, c’est comme s’il les avait offerts”.

Taanit 27b

Une autre fut la prière. Osée dit “Reviens, Israël, jusqu’à l’Éternel… nous voulons remplacer les taureaux par cette promesse de nos lèvres” (Osée 14:2-3), impliquant que ces mots pourraient remplacer le sacrifice.

“Celui qui prie dans la maison de la prière est comme s’il avait apporté une oblation pure.”

Yérouchalmi, Perek 5 Halakha 1

Et une autre fut la téchouva. Le Psaume (51:19) dit “les sacrifices à D.ieu, c’est un esprit contrit.” Les Sages ont déduit de cela que si une “personne se repent, on la considère comme si elle s’était rendue à Jérusalem, qu’elle avait construit le Temple et l’autel, et offert tous les sacrifices ordonnés dans la Torah” (Vayikra Rabba 7:2).

Une cinquième approche fut le jeûne. Puisque ne pas manger fait baisser le niveau de graisse et de sang d’une personne, ce fut considéré comme le substitut de la graisse et du sang d’un sacrifice (Brakhot 17a). Une sixième approche fut l’hospitalité. “Tant que le Temple existait, l’autel expiait Israël, mais maintenant, la table d’une personne l’expie” (Brakhot 55a). Et ainsi de suite.

Avec du recul, ce qui est frappant est la manière dont, au lieu de s’accrocher avec obsession au passé, des dirigeants comme Rabban Yohanan ben Zakai ont eu de l’avance au regard du pire des scénarios à venir. La grande question soulevée par la parachat Tsav, qui porte sur les différents sacrifices, n’est pas “Pourquoi les sacrifices furent ordonnés depuis le début ?” mais plutôt “Compte tenu de leur centralité dans la vie religieuse en Israël à l’époque du Temple, comment le judaïsme a-t-il survécu sans eux ?”

La réponse courte est que majoritairement, les prophètes, les Sages et les penseurs juifs du Moyen Âge réalisèrent que les sacrifices étaient des réalisations symboliques des processus de l’esprit, du cœur et de l’action qui pourraient être exprimés d’autres manières également. Nous pouvons rencontrer la volonté de D.ieu par l’étude de la Torah, en nous engageant dans le service divin par la prière, en faisant des sacrifices financiers par la charité, en créant une association consacrée à l’hospitalité, et ainsi de suite.

Les juifs n’ont pas abandonné le passé. Nous faisons constamment référence aux sacrifices dans nos prières. Mais ils ne se sont pas accrochés au passé. Ils ne se sont pas réfugiés non plus dans l’irrationnel. Ils pensèrent à l’avenir et créèrent des institutions comme la synagogue, la maison d’étude et l’école. Celles-ci pouvaient être construites partout, et pouvaient maintenir l’identité juive même dans les conditions les plus précaires.

Ce n’est pas si simple, bien au contraire. Les plus grandes civilisations ont toutes, avec le temps, disparu alors que le judaïsme a toujours survécu. Dans un sens, ce fut certainement l’œuvre de la providence divine. Mais ce fut aussi la prévoyance de personnes comme Rabban Yohanan ben Zakai qui a contré la chute cognitive, qui a conçu des solutions aujourd’hui pour les problèmes de demain, qui ne s’est pas réfugié dans l’irrationnel, et qui a sereinement construit l’avenir juif.

Il y a sûrement une leçon ici pour le peuple juif aujourd’hui : prévoyez les générations à l’avance. Pensez au moins 25 ans dans le futur. Envisagez les pires scénarios. Posez-vous la question “Que ferions-nous si…” Ce qui a sauvé le peuple juif a été sa capacité, malgré sa foi profonde et inébranlable, à ne jamais se défaire de pensées rationnelles et, malgré sa loyauté au passé, de toujours planifier pour l’avenir.


questions a poser french table 5783 a la table de chabbath
  1. Pensez-vous que la société a évolué au point de survivre de manière indéfinie ? 
  2. Pourquoi pensez-vous que le fait de trouver des alternatives aux korbanot fut la clé de la survie du peuple juif ? 
  3. Qu’y-a-t-il dans votre vie qui vous motive à continuer à aspirer à un bel avenir ?

With thanks to the Schimmel Family for their generous sponsorship of Covenant & Conversation, dedicated in loving memory of Harry (Chaim) Schimmel.

“I have loved the Torah of R’ Chaim Schimmel ever since I first encountered it. It strives to be not just about truth on the surface but also its connection to a deeper truth beneath. Together with Anna, his remarkable wife of 60 years, they built a life dedicated to love of family, community, and Torah. An extraordinary couple who have moved me beyond measure by the example of their lives.” — Rabbi Sacks

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