La marche de la folie

פרשת בא

Bo5771, 5784

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Il y a un moment fascinant dans l’histoire des plaies qui devrait nous interpeller. À l’ouverture de la paracha de cette semaine, sept plaies ont maintenant frappé l’Égypte. Le peuple souffre. À plusieurs reprises, Pharaon semble s’adoucir, pour ensuite endurcir de nouveau son cœur. Durant la septième plaie, la grêle, il semble même reconnaître son erreur.

“Pharaon fit appeler Moïse et Aaron et leur dit : “J’ai péché, je le vois à cette heure : l’Éternel est juste et c’est moi et mon peuple qui sommes coupables.

Ex. 9:27

Mais aussitôt la plaie passée, il change d’avis : 

“Pharaon”, dit la Torah, “recommença à pécher et endurcit son cœur, lui et ses serviteurs.”

Ex. 9:34

Et maintenant, Moïse et Aaron sont venus mettre en garde d’une autre plaie, potentiellement dévastatrice, une plaie de sauterelles qui, selon leurs dires, dévoreront tous les grains qui ont subsisté à la grêle ainsi que les fruits des arbres. Pour la première fois, nous voyons quelque chose que nous n’avons pas vu auparavant.

Les propres conseillers de Pharaon lui disent qu’il est en train de commettre une erreur :

Les serviteurs de Pharaon lui dirent : “Combien de temps celui-ci nous portera-t-il malheur ? Laisse partir ces hommes, qu’ils servent l’Éternel leur D.ieu: ignores-tu encore que l’Égypte est ruinée ?”

Ex. 10:7

Ces paroles transforment immédiatement la situation. De quelle manière ?

En 1984, l’historienne Barbara Tuchman publia le célèbre livre intitulé The March of Folly (La marche de la folie). Dans ce dernier, elle posa la grande question : comment est-ce possible que, tout au long de l’histoire, des gens intelligents aient pris des décisions stupides qui furent néfastes pour eux-mêmes et pour leur peuple ?

Par cela, elle ne faisait pas référence à des décisions qui se sont rétrospectivement avérées mauvaises. Tout le monde peut faire ce genre d’erreurs. C’est la nature du leadership et de la vie elle-même. Nous sommes appelés à prendre des décisions avec des conditions incertaines. Avec du recul, nous pouvons voir là où nous avons échoué en raison de certains facteurs que nous ne connaissions pas à l’époque.

Ce à quoi Barbara Tuchman faisait référence, ce sont les décisions que les gens pouvaient voir à temps comme étant mauvaises. Il y avait des mises en garde qui furent ignorées. Un exemple qu’elle donne est celui de la légende du cheval en bois de Troie. Les Grecs avaient assiégé la ville de Troie sans succès pendant dix ans. En fin de compte, ils donnèrent l’impression de renoncer et de partir, laissant derrière eux un immense cheval de bois. Les Troyens transportèrent avec enthousiasme le cheval à l’intérieur de la ville comme symbole de leur victoire. Comme nous le savons, à l’intérieur du cheval se trouvaient trente soldats grecs qui, cette nuit-là, sortirent de leur cachette et ouvrirent les portes de la ville pour l’armée grecque qui s’était cachée durant la nuit.

Ce fut un brillant stratagème. Laocoon, le prêtre troyen, devina qu’il s’agissait d’un complot et mit en garde son peuple par les célèbres paroles, “Je crains les Grecs même lorsqu’ils viennent avec les bras chargés de présents.” Son avertissement fut ignoré, et Troie tomba.

Un autre exemple de Tuchman est la papauté du seizième siècle qui était devenue corrompue, pas seulement financièrement. Il y eut plusieurs appels à la réforme, mais ils furent tous ignorés. Le Vatican se considérait, comme certaines institutions financières d’aujourd’hui, comme “trop gros pour tomber” (“Too big to fail”). Le résultat fut la Réforme et plus d’un siècle de guerre religieuse à travers l’Europe.

C’est le contexte dans lequel nous devrions lire l’histoire de Pharaon et de ses conseillers. Il s’agit d’un des premiers moments documentés de l’histoire de la marche de la folie. Comment cela s’est-il passé ?

Il y a quelques années, le studio DreamWorks a créé un dessin animé sur Moïse et l’histoire de l’Exode, Le prince d’Égypte. Le producteur, Jeffrey Katzenburg, m’a invité à voir le film lorsqu’il était à moitié terminé, pour voir si je pensais qu’il s’agissait d’une manière responsable et sensible de raconter l’histoire, ce que je pensais être le cas.

Ce qui m’a fasciné, et j’aurais probablement dû le comprendre plus tôt, est que Pharaon était dépeint non pas comme un homme mauvais mais comme un homme profondément conservateur, chargé de maintenir ce qui était déjà l’empire le plus ancien de l’Antiquité, et de ne pas le laisser se faire détruire par le changement. 

Libérer les esclaves, et qui sait ce qui se passera ensuite ? L’autorité royale semblera avoir été battue en brèche. Une fracture apparaîtra dans la structure politique. L’édifice de pouvoir aux allures immuables semblera avoir été ébranlé. Et pour ceux qui ont peur du changement, c’est le début de la fin. 

Dans ces circonstances, il est possible de comprendre pourquoi Pharaon refusait d’écouter ses conseillers. Selon lui, ils étaient faibles, défaitistes, succombaient à la pression, et toute forme de faiblesse dans un gouvernement mène à plus de pression et plus de renoncements. Mieux vaut être fort, continuer de dire “non” et endurer une plaie supplémentaire.

Nous voyons Pharaon à la fois comme méchant et insensé car nous avons lu le livre. Ses conseillers pouvaient voir clairement qu’il menait son peuple au désastre, mais il aurait pu sentir qu’il était fort alors qu’ils étaient craintifs. Rétrospectivement, le leadership est tellement facile, et ses erreurs n’en sont que clairement visibles.

Pourtant, Pharaon demeure un symbole permanent d’échec à écouter ses propres conseillers. Il ne pouvait pas voir que le monde avait changé, qu’il faisait face à quelque chose de nouveau, que l’asservissement d’un peuple n’était plus tolérable, que la magie ancienne ne fonctionnait plus, que l’empire qu’il dirigeait vieillissait, et que plus il s’obstinait, plus il rapprochait son peuple de la tragédie.

Savoir comment écouter un conseil, comment répondre au changement et quand admettre avoir fait fausse route demeurent trois des tâches les plus difficiles du leadership. Rejeter un conseil, refuser le changement, et refuser d’admettre que vous avez tort, peut sembler être de la force pour certains. Mais généralement, il s’agit du début d’une nouvelle marche de la folie. 


questions a poser french table 5783 a la table de chabbath
  1. Pourquoi pensez-vous que les dirigeants ignorent souvent les conseils et les mises en garde des autres, même lorsqu’il semble évident qu’ils devraient écouter ?
  2. Comment pouvons-nous distinguer la force de l’entêtement ? Pouvez-vous penser à un exemple dans lequel cette différence est importante ? 
  3. Pouvez-vous penser à des dirigeants qui ont été ouverts au changement, ou qui ont dû s’adapter à de nouvelles situations ?

With thanks to the Schimmel Family for their generous sponsorship of Covenant & Conversation, dedicated in loving memory of Harry (Chaim) Schimmel.

“I have loved the Torah of R’ Chaim Schimmel ever since I first encountered it. It strives to be not just about truth on the surface but also its connection to a deeper truth beneath. Together with Anna, his remarkable wife of 60 years, they built a life dedicated to love of family, community, and Torah. An extraordinary couple who have moved me beyond measure by the example of their lives.” — Rabbi Sacks

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