L’enfant spirituel

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L’auteur américain Bruce Feiler a publié un livre à grand succès intitulé The Secrets of Happy Families (Les secrets des familles heureuses).[1] Il s’agit d’une œuvre captivante qui s’appuie sur la recherche provenant de domaines tels que la construction d’équipes et la résolution de problèmes et de conflits. L’objectif est de démontrer de quelle façon les techniques de gestion peuvent également être employées à la maison pour aider les familles à créer de la cohésion, laissant ainsi de l’espace pour l’évolution personnelle de chacun. 

À la fin, il propose une idée percutante et inattendue : “La chose la plus importante que vous pouviez faire pour votre famille est peut-être la plus simple de toutes : développez un récit familial fort.” Il cite une étude de l’université Emory selon laquelle plus les enfants connaissent leur histoire familiale, “plus leur sentiment de contrôle sur leur vie et leur estime de soi seront élevés, plus ils croient avec optimisme dans leur rôle au sein de la famille.”[2]

Un récit familial lie les enfants à quelque chose de plus grand que leur propre horizon. Cela les aide à donner du sens à leur place dans un monde qui existait avant qu’ils ne soient nés. Cela leur donne un point de départ d’une identité, avant que cela ne devienne le fondement de la confiance en soi. Cela permet aux enfants de se dire : “Voilà qui je suis. Voici l’histoire dont je fais partie. Voici les personnes qui sont venus avant moi et de qui je descends. Voici les racines dont je suis la tige qui pousse vers le soleil.”

Cela n’a jamais été présenté de manière aussi dramatique que par Moïse dans la paracha de cette semaine. La dixième plaie s’apprête à frapper. Moïse sait qu’elle sera la dernière. Pharaon ne laissera pas simplement le peuple s’en aller. Il leur suppliera de partir. Ainsi, selon le commandement de D.ieu, il prépare le peuple pour la liberté. Mais il le fait de manière unique. Il ne parle pas de liberté. Il ne parle pas de briser les chaînes de la servitude. Il ne mentionne même pas le périple ardu qui s’annonce. Il ne fait pas non plus appel à leur enthousiasme en leur donnant un aperçu de leur destination, la Terre promise que D.ieu a promise à Abraham, Isaac et Jacob, la terre de lait et de miel.

Il parle des enfants. Il se concentre sur ce thème tout au long de cette paracha

Alors, quand vos enfants vous demanderont : “Que signifie pour vous ce rite ?” vous répondrez…

Ex. 12:26–27

Tu donneras alors cette explication à ton fils : “C'est dans cette vue que l'Éternel a agi en ma faveur, quand je sortis de l'Égypte.”

Ex. 13:8

Et lorsque ton fils, un jour, te questionnera en disant : “Qu'est-ce que cela ?”, tu lui répondras…

Ex. 13:14

Cela est tout à fait contre-intuitif. Il ne parle pas de demain, mais de l’avenir lointain. Il ne célèbre pas le moment de la libération. Il préfère plutôt s'assurer que cet épisode fera partie de la mémoire du peuple jusqu’à la fin des temps. Il veut que chaque génération puisse transmettre l’histoire à la prochaine. Il veut que les parents juifs deviennent des éducateurs, et les enfants juifs des gardiens du passé pour le bien de l’avenir. Inspiré par D.ieu, Moïse a enseigné aux Israélites la leçon à laquelle les chinois sont parvenus par d’autres moyens : Si vous planifiez pour un an, plantez du riz. Si vous planifiez pour une décennie, plantez un arbre. Si vous planifiez pour un siècle, éduquez un enfant

Les juifs sont devenus célèbres à travers le temps pour avoir placé l’éducation en premier plan. Là où les autres ont construit des châteaux et des palais, les juifs ont construit des écoles et des maisons d’étude. De cela ont découlé toutes les réalisations courantes dont nous sommes fiers : le fait que les juifs connaissaient leurs textes à des époques d’analphabétisme massif, le record de l’érudition et de l’intellect juif, la surreprésentation stupéfiante des juifs parmi les façonneurs de l’esprit moderne ; la réputation juive, tantôt admirée, tantôt crainte, parfois caricaturée, celle de l’agilité mentale, de la discussion, du débat et de la capacité d’appréhender tous les angles d’un désaccord.

Mais le propos de Moïse ne consistait pas uniquement en cela. D.ieu ne nous a jamais donné le commandement suivant : “Gagne un prix Nobel”. Ce qu’Il voulait, c’est que nous enseignions une histoire à nos enfants. Il voulait que nous aidions nos enfants à comprendre qui ils sont, d'où ils viennent, ce qui est arrivé à leurs ancêtres pour en faire un peuple distinctif, et quels moments de leur histoire ont façonné leurs vies et rêves. Il voulait que nous donnions à nos enfants une identité en transformant l’histoire en mémoire, et la mémoire elle-même en sentiment de responsabilité. Les juifs furent appelés à être une nation d’intellectuels. Ils furent appelés à être des acteurs sur la scène du repentir, un peuple invité par D.ieu à apporter des bénédictions au monde par la manière dont ils vivaient et sanctifiaient la vie.

Depuis un moment déjà, parmi tant d’autres choses en Occident, nous avons parfois négligé cet élément spirituel profond que représente l’éducation. C’est ce qui fait que le nouveau livre de Lisa Miller, The Spiritual Child,[3] constitue un rappel important d’une vérité oubliée. Professeur Miller enseigne la psychologie et l’éducation à l’université Columbia et est co-éditrice du journal Spirituality in Clinical Practice. Son livre ne se penche pas sur le judaïsme ni sur la religion en tant que telle, mais spécifiquement sur l’importance des parents d’encourager la spiritualité de l’enfant.

Les enfants sont naturellement spirituels. Ils sont fascinés par la grandeur de l’univers et la place que nous y occupons. Ils ont le même sentiment d’émerveillement que nous retrouvons dans les plus grands psaumes. Ils aiment les histoires, les chansons et les rituels. Ils aiment la forme et la structure qu’ils donnent au temps, aux relations et à la vie morale. Il est vrai que les sceptiques et les athées ont souvent ridiculisé la religion en la comparant à une vision enfantine de la réalité, mais cela ne sert qu’à renforcer le corollaire selon lequel la vision de la vie des enfants est instinctivement et intuitivement religieuse. Priver un enfant de cela en ridiculisant la religion, en abandonnant le rituel et en se focalisant sur la performance académique et d’autres formes de succès, c’est le priver de certains des éléments les plus importants de son bien-être émotionnel et psychologique.

Tel que le Professeur Miller le démontre, les preuves en provenance de la recherche sont convaincantes. Les enfants qui grandissent dans des foyers dans lesquels la spiritualité fait partie de l’atmosphère à la maison sont moins sujets à succomber à la dépression, à des abus de substances, à l'agression, et à des comportements à haut risque incluant la prise de risque physique et “une sexualité dépourvue d’intimité émotionnelle”. La spiritualité joue un rôle dans la résistance de l’enfant, sa santé mentale et physique et son processus de guérison. Il s’agit d’une dimension clé de l’adolescence et de sa recherche intense pour l’identité et le sens. Les années d’adolescence prennent souvent la forme d’une quête spirituelle. Et lorsqu’il y a un lien intergénérationnel à travers lequel les parents et les enfants en viennent à partager un sentiment de connexion à quelque chose de plus grand, une force intérieure immense est née. En effet, la relation parent-enfant, en particulier dans le judaïsme, reflète la relation entre D.ieu et nous.

C’est la raison pour laquelle Moïse a si souvent souligné l’importance du rôle de la question dans le processus éducatif : “Et lorsque ton fils te questionnera en disant…”, une phrase ritualisée à la table du Séder sous la forme de Ma Nichtana. Le judaïsme est une religion de questionnement et d’argumentation, dans laquelle même les plus grands posent des questions sur D.ieu, et dans laquelle les rabbins de la Michna et du Midrach sont constamment en désaccord. La foi doctrinale rigide qui décourage les questions, encourageant plutôt l’obéissance aveugle et la soumission, est psychologiquement néfaste et ne prépare pas un enfant à la complexité de la vraie vie. La Torah fait bien attention, dans le premier paragraphe de Chéma, de dire “Tu aimeras l’Éternel ton D.ieu” avant de dire “Tu les inculqueras à tes enfants”. La parentalité fonctionne lorsque vos enfants remarquent que vous aimez ce que vous voulez qu’ils apprennent.

Cette paracha suggère que cette longue marche vers la liberté n’est pas juste une question d’histoire et de politique, qui plus est de miracles. Elle repose sur la relation entre les parents et les enfants. Il s’agit de raconter l’histoire et de la transmettre aux générations à venir. Elle a à voir avec le sentiment de la présence de D.ieu dans nos vies. Il s’agit de créer un espace pour la transcendance, l’émerveillement, la gratitude, l’humilité, l’empathie, l’amour, le pardon et la compassion, ornés de rituels, de chansons et de prières. Ils aident l’enfant à avoir de l’assurance, de la confiance et de l’espoir, ainsi qu’un sentiment d’identité, d’appartenance, et de se sentir chez soi dans l’univers.

Vous ne pouvez pas construire une société saine avec des familles émotionnellement déséquilibrées, avec des enfants coléreux et en conflit avec eux-mêmes. La foi commence dans les familles. L’espoir naît à la maison.


[1] Bruce Feiler, The Secrets of Happy Families (New York: William Morrow, 2013).

[2] Ibid., 274. Feiler ne cite pas la source, mais voir: Jennifer G. Bohanek, Kelly A. Marin, Robyn Fivush, et Marshall P. Duke, “Family Narrative Interaction and Children’s Sense of Self,” Family Process 45.1 (2006): pp. 39–54.

[3] Lisa Miller, The Spiritual Child: The New Science on Parenting for Health and Lifelong Thriving (New York: St Martin’s Press, 2015).


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Questions à poser à la table de Chabbath
  1. En avez-vous appris plus sur vous grâce à l’école ou grâce à la famille ? 
  2. Pourquoi pensez-vous que le judaïsme octroie une place si importante à l’éducation ? 
  3. Que pensez-vous qu’un enfant ait le plus besoin de l’éducation qu’ils reçoivent de leurs parents ?