Qu’est-ce qui fait de nous des humains ?

Published 25 April 2013
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Published in The New Statesman on 25th April 2013

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Publié le 25 avril 2013 dans le New Statesman comme le premier article d’une série sur le sujet, publié dans le magazine et en partenariat avec Jeremy Vine de BBC Radio 2.

Pour répondre à la question de savoir ce qui fait de nous des humains, même à l’époque neuroscientifique, il est difficile de donner une meilleure réponse que celle offerte par la Bible.

D’abord arrive la bonne nouvelle du premier chapitre de la Genèse . Nous sommes tous créés à l’image de D.ieu, peu importe la classe sociale, la couleur ou la culture. Il s’agit de l’affirmation la plus importante de la culture occidentale selon laquelle la dignité humaine de l’individu n’est pas négociable. Cette affirmation est la source de l’idée sous-tendant les droits de l’homme, célèbrement formulée dans la déclaration américaine des droits de l’homme : “Nous tenons ces vérités pour évidentes, que tous les hommes sont créés égaux et sont dotés de droits inaliénables par leur Créateur.”

Comme D.ieu, nous créons. Comme D.ieu, nous sommes libres. Toutes les autres formes de vie s’adaptent à leur environnement. Nous sommes seuls à adapter l’environnement, parfois au prix de résultats désastreux, mais en élargissant toujours nos pouvoirs, en nous rendant toujours moins vulnérables aux cruautés hasardeuses du destin et aux indignités de l’impuissance.

Vient ensuite toute la subtilité de laquelle l’histoire de l’humanité découle: “Il n’est pas bon que l’homme soit seul” (Genèse 2:18). Nous sommes l’animal social ultime, en partie la cause et en partie les effets de notre capacité à utiliser le langage. Selon le judaïsme, la qualité et la force de nos relations interpersonnelles est ce qui nous rend humain. Jean-Paul Sartre n’a jamais eu aussi tort lorsqu’il a dit : “l’enfer c’est les autres”. L’enfer est l’absence de l’autre. Le confinement solitaire constitue le pire châtiment qui soit.

Le livre de la Genèse porte sur les relations interpersonnelles, et se concentre sur les plus importantes d’entre elles : les relations entre mari et femme, parents et enfants, frères et soeurs. C’est seulement dans l’Exode que la Bible se penche sur les questions de l’esclavage et de la liberté. La Bible porte en grande partie sur ce qui fait en sorte qu’une société soit bonne, mais elle insiste sur la prééminence du personnel sur le politique. Alexis de Tocqueville disait que tant que le sentiment de famille demeure, l’opposant à l’oppression n’est jamais seul. Sans des familles fortes qui soutiennent l’individu et l’État, la liberté se perd en fin de compte.

La centralité de la famille est ce qui a permis aux juifs de survivre aux tragédies ainsi qu’aux siècles d’exil et de dispersion. Je savais intrinsèquement cela bien avant que je sois en âge de m’arrêter et de réfléchir sur la condition humaine. Mes parents n’étaient pas aisés. Mon père était arrivé en Angleterre pour fuir les persécutions en Pologne. La famille était pauvre, et il a dû quitter l’école à l’âge de quatorze ans pour aider son père à gagner sa vie.

Il avait un petit commerce dans l’ East End de Londres, mais il n’était pas fait pour être un homme d’affaires. Ma mère était issue d’une famille religieuse à une époque où il n’était pas convenable pour une jeune fille juive de poursuivre ses études après l’âge de seize ans. Ainsi, bien que nous n’ayons jamais connu la pauvreté, nos parents avaient peu de ressources matérielles à nous offrir, nous, leurs quatre fils. Mais ils étaient très fiers de nous, et ils souhaitaient nous offrir les opportunités qu’ils n’ont jamais eues. Nous avons tous été à l’université, et nous avons fait de bonnes carrières. Notre histoire est partagée par beaucoup de nos contemporains.

Lorsqu’elle réussit, la famille est la matrice de notre humanité. C’est l’endroit où nous apprenons l’amour, la confiance en soi, et les valeurs fondamentales qui nous serviront de boussole à travers les terres inexplorées de la vie. C’est l’endroit où nous apprenons la responsabilité et la chorégraphie d’attendre son tour et de faire de la place aux autres. C’est l’endroit où nous apprenons les habitudes du cœur qui nous aident à prendre des responsabilités et des risques, en sachant qu’il y a quelqu’un pour nous relever si l’on vient à trébucher. Une enfance vécue dans la présence stable de deux parents aimants est le plus beau cadeau que l’on puisse avoir, et c’est la raison pour laquelle la plupart des célébrations et des rituels juifs sont centrés sur le foyer.

La famille n’est guère une chose facile ou simple. La Bible ne nous le cache pas. Les histoires de la Genèse ne contiennent aucune phrase qui affirme “qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants”. La famille requiert un travail constant, des sacrifices et un respect mutuel. Mais si votre foyer va bien, vos enfants auront un temps d’avance pour établir des relations saines, et ce sont les relations qui font vraiment de nous des êtres humains.

C’est précisément la raison pour laquelle j’ai parfois peur pour l’avenir. Un récent rapport de la Mental Health Foundation (Fondation de la santé mentale) montre qu’un anglais sur dix se sent seul, et les proportions parmi les jeunes sont plus élevées et en hausse. Nous investissons beaucoup de temps et d’énergie dans la communication électronique : les smartphones, les SMS et les applications de réseaux sociaux. Mais les relations virtuelles sont-elles les mêmes que le face à face ? Un sondage de 2012 dirigé par le Macmillan Cancer Support a révélé qu’un citoyen âgé en moyenne de dix-huit à trente ans a 237 amis sur Facebook. Lorsqu’on leur a demandé cependant sur combien d’entre eux ils pouvaient compter en temps de crise, la réponse moyenne était de deux. Un quart des sondés a répondu par le chiffre un, tandis qu’un huitième a répondu aucun.

Je pense que c’est là où la religion a une immense contribution à apporter à tous les niveaux : spirituel, personnel et collectif. D’un point de vue spirituel, l’éthique judéo-chrétienne nous enseigne à voir l’empreinte divine en l’autre, l’idée la plus sublime que je connaisse. Sur le plan personnel, elle enseigne l’importance de l’amour et du pardon, les deux grandes dimensions qui font en sorte qu’une relation perdure. Sur l’aspect collectif, les religions créent des communautés fortes et qui offrent du soutien, et au sein desquelles vous avez des amis sur lesquels vous pouvez compter.

La foi est le salut de la solitude, et il s’agit là du cadeau le plus humanisant qu’elle puisse offrir. D.ieu réside dans l’espace qu’il y a entre nous lorsque l’on se réunit dans l’amour et dans la joie.