Au-delà des politiques de la colère

Published 11 November 2016
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This article was published in The Daily Telegraph on 11th November 2016.

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Publié le 11 novembre 2016 dans le Daily Telegraph pour réfléchir à la montée de débats politiques extrêmes à la lumière de la décision de l’Angleterre le 23 juin 2016 de quitter l’Union européenne et de l’élection de Donald Trump en tant que président des États-Unis le 9 novembre 2016.

Ce n’est pas de la politique habituelle. L’élection présidentielle américaine, le vote du Brexit et la montée de l’extrémisme dans les politiques occidentales constituent des mises en garde de quelque chose de plus vaste, et plus tôt nous le réaliserons, le mieux ce sera. Nous témoignons de la naissance d’une nouvelle politique de la colère. Et elle peut en effet être très dangereuse.

Aucune civilisation n’est éternelle. Le premier signe d’affaissement est symbolisé par les gens qui ne placent plus leur confiance dans les élites gouvernantes. Elles sont vues comme ayant échoué dans la résolution des défis majeurs auxquels la nation est confrontée. Elles sont perçues comme servant leurs propres intérêts, et non pas ceux de la population dans son ensemble.

Elles sont déconnectées et entourées de gens qui leur ressemblent. Elles ont arrêté d’écouter la base. Elles sous-estiment l’étendue et l’ampleur de la colère populaire. Cela s’est produit à la fois à Washington et à Westminster. La classe au pouvoir n’entend pas l’orage qui gronde. C’est comme cela que le parti du statu quo est défait par le candidat du parti en colère, peu importe à quel point l’incohérence de ses politiques.

C’est là où le danger se trouve, car la colère est une humeur, pas une stratégie : elle ne peut que faire empirer les choses, pas les améliorer ; elle n’arrange jamais les choses, elle ne fait que les enflammer. En fin de compte, le danger, tel qu’il l’a été tout au long de l’histoire, est une demande d’un pouvoir autoritaire, qui représente le début de la fin d’une société libre. Nous ne devrions jamais oublier la mise en garde de Platon que la démocratie peut se terminer en tyrannie.

Il n’y a qu’une alternative potentielle. Ce n’est pas un retour au statu quo, mais quelque chose de bien plus grand que les divisions partisanes traditionnelles : la création d’une nouvelle politique de l’espoir.

La liberté n’est pas l’optimisme. Elle commence par une reconnaissance sans concession de tous les aspects de la gravité de la situation. Il y a de grands groupes de la population en Angleterre et aux États-Unis qui n’ont pas bénéficié de la croissance économique. Leur niveau de vie relatif et absolu a chuté. Ils ont été les témoins de la sous-traitance des emplois traditionnels vers des économies à bas salaire, abandonnant les bassins industriels autrefois prospères en friches désertées.

Nous avons besoin d’une nouvelle économie capitaliste avec un visage humain. Nous avons vu des banquiers et des directeurs d’entreprise se comporter de manière outrageuse, s’octroyant des salaires faramineux pendant que le coût humain a été porté à bout de bras par ceux qui peuvent le moins se l’autoriser. Nous avons entendu l’économie du libre échange être invoquée comme un mantra, en contradiction complète avec la douleur et les pertes entraînées par l’économie mondiale. Nous avons agi comme si les marchés pouvaient fonctionner sans principes moraux, les groupes internationaux sans responsabilité sociale, et les systèmes économiques sans aucune considération des conséquences sur les perdants de la mondialisation. En tant que grands-parents, nous savons pertinemment que la vie est plus dure pour nos enfants qu’elle ne l’était pour nous, et cela s’annonce encore plus difficile pour nos petits-enfants.

Nous devons rebâtir notre écologie sociale. Lorsqu’une civilisation fonctionne bien, elle a des institutions qui offrent du soutien et de l’espoir lors des moments difficiles. En Occident, celles-ci furent traditionnellement la famille et la communauté. Aucune d’entre elles n’est en bon état dans l’Occident d’aujourd’hui. Leur effondrement a incité deux des plus grands penseurs d’Amérique, Charles Murray à droite et Robert Putnam à gauche, à affirmer que le rêve américain est fracturé au-delà de toute réparation pour la grande majorité de la population. Plus vite nous abandonnerons la vision politiquement correcte mais socialement catastrophique que le mariage est désuet, mieux ce sera.

Nous avons besoin de retrouver un sentiment inclusif d’identité nationale pour que les gens ressentent que leurs gouvernants se soucient du bien commun, et non de l’intérêt des élites exclusivement. L’Occident souffre encore des dégâts causés par le multiculturalisme, une preuve vivante que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Si nous ne parvenons pas à restaurer ce que George Orwell qualifiait de patriotisme en opposition au nationalisme, nous verrons la montée de l’extrême droite, comme c’est actuellement le cas en Europe.

La voix religieuse est également importante, et je ne prétends pas cela parce que je suis religieux, mais parce qu’historiquement parlant, les grandes religions ont donné aux gens un sentiment de dignité et de valeur qui n’était pas lié à ce qu’ils gagnaient ou possédaient. Lorsque la religion meurt et la société de consommation la remplace, il ne reste qu’une culture qui encourage les gens à acheter des choses dont ils n’ont pas besoin avec de l’argent qu’ils n’ont pas, pour un bonheur qui ne dure pas. Ce n’est pas un bon échange, et il se conclura avec des larmes.

Ces sujets sont vastes, profonds et graves ; il faudra dépasser les politiques de confrontation et la philosophie de la division à somme nulle qui ont tant malmené le débat public. La colère constitue toujours un danger dans la politique, à une époque de changements rapides, mais elle n’a pas toujours été aussi dangereuse qu’aujourd’hui. La révolution de la technologie de l’information a transformé tout le ton de la culture globale au vingt-et-unième siècle. Les smartphones et les médias sociaux octroient du pouvoir à des groupes qui en temps normal n’ont pas de voix collective. Internet a un effet de désinhibition qui encourage l’indignation et la répand comme une traînée de poudre.

Une politique de l’espoir est à portée de main. Mais pour la créer, nous avons besoin de trouver des moyens de renforcer les familles et les communautés, en construisant une culture de responsabilité collective et en insistant sur une économie du bien commun. Il ne s’agit plus d’un enjeu de politiques partisanes. Il s’agit de la viabilité de la liberté pour laquelle l’Occident s’est si longtemps battue. Nous avons besoin de reconstruire un discours convaincant d’espoir qui nous parle à tous, pas uniquement à quelques groupes : le temps est venu de commencer.