Alors, la voix divine s'adressa à lui, disant : “Que fais-tu là, Élie ?” Il répondit : "J’ai fait éclater mon zèle pour toi, Seigneur, D.ieu-Cebaot…” La voix reprit : “Sors, et tiens-toi sur la montagne pour attendre le Seigneur !” Et le Seigneur se manifesta. Devant lui, un vent intense et violent, entrouvrant les monts et brisant les rochers, mais dans ce vent n'était point le Seigneur. Après le vent, une forte secousse ; le Seigneur n'y était pas encore. Après la secousse, un feu ; le Seigneur n'était point dans le feu. Puis, après le feu, un doux et subtil murmure. (I Rois 19:9-12)
En 1165, les juifs marocains furent confrontés à une question dramatique. Une secte musulmane fanatique, les Almohades, avaient pris le pouvoir au Maroc et instaurèrent une politique de conversions forcées à l’islam. La communauté juive devait faire un choix : adopter la foi islamique ou mourir. Certains choisirent le martyre. D’autres optèrent pour l’exil. Mais certains cédèrent à la terreur et embrassèrent une autre religion. Cependant, plusieurs convertis continuèrent à pratiquer leur religion en cachette. Ils s’appelaient les anusim, les conversos, les crypto-juifs, ou comme les espagnols les ont ensuite appelés, les marranos, les marranes.
Pour les autres juifs, ils posaient un problème moral de taille. Comment devaient-ils être vus ? Extérieurement, ils avaient trahi leur communauté et leur héritage religieux. Par ailleurs, leur exemple était démoralisant. Ils affaiblissaient le désir de certains juifs qui étaient résolus à résister, peu importe à quel prix. Mais plusieurs crypto-juifs souhaitaient demeurer juifs, en accomplissant les commandements en cachette, et dès que possible, en allant à la synagogue prier.
L’un de convertis soumit cette question à un rabbin. Il affirmait qu’il s’était converti sous la contrainte, mais il demeurait un juif fidèle dans son cœur. Pouvait-il être méritant en observant le plus de préceptes possibles dans la sphère privée ? En d’autres termes, y avait-il de l’espoir pour lui en tant que juif ? La réponse du rabbin fut nette. Un juif qui avait embrassé l’islam avait perdu sa place dans la communauté juive. Il ne faisait plus partie de la maison d’Israël. Pour une telle personne, accomplir les commandements ne valait rien. Pire encore, c’était un péché. Le choix était fort et absolu : être juif ou ne pas l’être. Si vous choisissiez d’être juif, vous devriez être prêt à mourir plutôt qu’à faire des compromis. Si vous choisissiez de ne pas être juif, alors il ne fallait pas chercher à réintégrer la maison désertée.
Nous pouvons respecter la fermeté de la prise de position du rabbin. Il a établi, sans équivoque, le choix moral. Il y a des moments où l'héroïsme est un impératif catégorique pour la foi. Rien de moins ne fera l’affaire. Sa réponse, aussi dure soit-elle, n’est pas dépourvue de courage. Mais un autre rabbin n’était pas d’accord.
Le nom du premier rabbin nous est inconnu, mais celui du second ne l’est pas. Son nom était Moïse Maïmonide, le plus grand rabbin du Moyen Âge. Maïmonide n’était pas étranger à la persécution religieuse. Né à Cordoue en 1135, il avait été contraint de quitter la ville avec sa famille, treize ans plus tard, lorsqu’elle tomba sous le contrôle des Almohades. Il erra pendant douze ans. En 1160, un assouplissement temporaire du règne Almohade permit à la famille de s’installer au Maroc. Cinq ans plus tard, il fut contraint de changer de pays à nouveau, s’installant d’abord en Israël puis en Égypte.
La réponse du rabbin au converti de force contraria Maïmonide à un point tel qu’il écrivit sa propre réponse. Dans celle-ci, il se détache nettement de la décision antérieure, fustigeant l’auteur qu’il décrit comme un “sage autoproclamé qui n’a jamais vécu ce que de si nombreuses communautés juives durent supporter lors des persécutions”.
La réponse de Maïmonide, intitulé le Iggeret ha-Shemad, (‘épître sur la persécution’) est un traité substantiel en bonne et due forme[1]. Compte tenu de la véhémence de son introduction, ce qui est frappant, c’est que ses conclusions sont bien moins exigeantes que la réponse antérieure. Si vous êtes confronté à de la persécution religieuse, dit Maïmonide, vous devez partir et vous installer ailleurs. ‘S’il est contraint de transgresser ne serait-ce qu’un seul précepte, il lui est interdit de rester ici. Il doit tout quitter et voyager nuit et jour jusqu’à ce qu’il trouve un endroit où il peut pratiquer sa religion’[2]. Cette position est préférable au martyre.
Cependant, celui qui choisit la mort plutôt que de renoncer à sa religion ‘a fait la bonne chose’[3] car il a donné sa vie pour la sainteté de D.ieu. Ce qui est inacceptable, c’est de ne rien faire et de se trouver des excuses, en se disant que si l’on commet un péché, c’est uniquement à cause de la pression. Agir ainsi signifie profaner le nom de D.ieu, ‘pas tout à fait volontairement, mais presque’.
Telles sont les conclusions de Maïmonide. Mais ce qui délimite et forge l’essentiel de son propos constitue une défense soutenue en faveur de ceux qui firent exactement ce que Maïmonide dit de ne pas faire. La lettre donne de l’espoir aux crypto-juifs. Ils ont fauté. Mais leur faute est pardonnable. Ils ont agi sous la contrainte et par peur de mourir. Ils restent juifs. Les actions qu’ils font en tant que juifs reçoivent toujours les faveurs de D.ieu. Deux fois plus même, car lorsqu’ils accomplissent un commandement, ce n’est pas dans l’objectif de trouver faveur aux yeux des autres. Ils savent que lorsqu’ils agissent en tant que juifs, ils risquent de se faire découvrir et de mourir. Leur adhésion secrète est héroïque en soi.
Ce qui n’allait pas dans la décision du premier Rabbin, ce fut sa persistance à penser qu’un juif qui cède à la terreur a renoncé à sa foi et doit être exclu de la communauté. Maïmonide insiste sur le fait que ce n’est pas le cas. “Ce n’est pas acceptable d’abandonner, de mépriser et de détester ceux qui transgressent le Chabbath. C’est notre devoir de se lier d’amitié avec eux et de les encourager à accomplir les commandements”[4]. En interprétant un verset avec beaucoup d’audace, il cite : “On ne méprise pas le voleur qui commet un larcin pour assouvir sa faim” (Proverbes 6:30). Les crypto-juifs qui viennent à la synagogue ont soif de prière. Ils “volent” des moments d’appartenance. Ils ne devraient pas être méprisés mais bien accueillis.
Cette lettre constitue un exemple magistral du plus complexe des défis moraux, à savoir celui de conjuguer commandement et miséricorde. Maïmonide ne nous laisse aucun doute sur ce que les juifs doivent faire. Mais en même temps, il ne fait aucun compromis dans sa défense de ceux qui manquent à leur devoir. Il ne donne pas son assentiment à ce qu’ils ont fait ; mais il défend ce qu’ils sont. Il nous demande de comprendre leur situation. Il leur octroie de l’espace pour se respecter. Il garde ouvertes les portes de la communauté.
Cet argument atteint son paroxysme lorsque Maïmonide cite une séquence remarquable de passages midrachiques dont le thème est que les prophètes ne devraient pas condamner leur peuple, mais plutôt le défendre devant D.ieu. Lorsque Moïse, chargé de faire sortir le peuple d’Égypte, a répondu : “Ils ne me croiront pas” (Exode 4:1), il avait raison. Le récit narratif subséquent suggère que les doutes de Moïse étaient fondés. Les Israélites étaient un peuple difficile à diriger. Mais le Midrach affirme que D.ieu a répondu la chose suivante à Moïse : “Ce sont des croyants, fils de croyants, mais toi (Moïse) tu ne croiras plus” (Chabbath 97a).
Maïmonide cite une série de passages similaires, puis affirme ensuite : si tel est le châtiment infligé aux piliers de l’univers, aux plus grands des prophètes, simplement parce qu’ils ont brièvement critiqué le peuple - bien qu’il était coupable des péchés dont il était accusé -, pouvons-nous seulement envisager le châtiment qui attend ceux qui critiquent les conversos ? Eux qui, sous la menace de mort et sans abandonner leur foi, se sont convertis à une autre religion en laquelle ils ne croyaient pas ?
Dans le courant de son analyse, Maïmonide se tourne vers le prophète Élie et le texte qui compose généralement la haftara de cette semaine. Sous le règne d’A’hab et de Jézabel, le culte de Baal était devenu le culte officiel. Les prophètes de D.ieu se faisaient tuer. Ceux qui étaient encore en vie se cachaient. Élie répondit en lançant un défi public au mont Carmel. Confronté à plus de quatre-cents représentants de Baal, il était déterminé à régler la question de la vérité religieuse une fois pour toute.
Il dit à l’assemblée de choisir l’une des deux voies : celle de D.ieu ou celle de Baal. Ils ne pouvaient plus continuer à “se tenir entre deux opinions.” D’une épreuve allait émerger la vérité. Si la vérité était du côté de Baal, un feu consumerait l’offrande préparée par les prêtres. Si la vérité était du côté D.ieu, un feu descendrait vers l’offrande d’Elie.
Elie remporta le défi. Le peuple s’écria : “Le Seigneur, c’est D.ieu.” Les prêtres de Baal furent défaits. Mais l’histoire ne se termine pas là. Jézabel émet un mandat demandant la mort d’Élie, qui s’échappe au mont Horeb. Il y reçoit une vision étrange, telle que nous l’avons vu au début de l’article de cette semaine. Il est amené à comprendre que D.ieu parle d’une “petite voix douce”.
Cet épisode est énigmatique. Il est rendu encore plus mystérieux par une caractéristique étrange du texte. Juste avant la vision, D.ieu dit : “Que fais-tu ici, Élie ?” et Elie répond : “J’ai fait éclater mon zèle pour toi, Seigneur…” (I Rois 19:9-10). Juste après la vision, D.ieu pose la même question, et Elie donne la même réponse (I Rois 19:13-14). Le Midrach transforme le texte en dialogue :
Élie : Les Israélites ont brisé l’alliance avec D.ieu.
D.ieu : Est-ce cela ton alliance?
Élie : Ils ont souillé Tes autels.
D.ieu : Mais étaient-ce tes autels?
Élie : Ils ont passé Tes prophètes au fil de l’épée.
D.ieu : Mais tu es vivant.
Élie : Je suis le seul qui reste.
D.ieu : Au lieu de proférer des accusations contre Israël, ne devrais-tu pas plaider pour eux ?[5]
Le sens du Midrach est clair. Le zélote prend le parti de D.ieu. Mais D.ieu s’attend à ce que Ses prophètes soient des défenseurs et non pas des accusateurs. La question répétée et sa réponse doivent maintenant être comprises dans leur profondeur tragique. Élie se déclare être le zélote de D.ieu. On lui révèle que D.ieu n’est pas révélé dans la confrontation dramatique, pas dans la tempête, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu. D.ieu lui demande à nouveau : “Que fais-tu ici, Élie?” Élie réitère son zèle envers D.ieu. Il n’a pas compris que le leadership religieux fait appel à un autre genre de vertu, celle de la petite voix, douce et tranquille. D.ieu indique maintenant que quelqu’un d’autre doit diriger. Élie doit désormais donner les rênes à Élysée.
En temps troublés, il y a une tentation pratiquement irrésistible éprouvée par les dirigeants religieux d’aller à la confrontation. La vérité doit non seulement être proclamée, mais le mensonge doit aussi être dénoncé. Les choix doivent être délimités de manière claire. Ne pas condamner revient à tolérer. Le rabbin qui a condamné le conversos avait la foi en son cœur, la logique de son côté et Élie comme précédent.
Mais le Midrach et Maïmonide nous présentent un autre modèle. Un prophète n'entend pas un seul impératif mais bien deux : des directives et de la miséricorde, un amour de la vérité et une solidarité constante avec ceux pour qui la vérité s’est échappée. Préserver la tradition tout en défendant ceux que les autres condamnent est difficile, une tâche nécessaire de leadership religieux à une époque profane.
[1] Une traduction en anglais et un commentaire se trouve dans Abraham S. Halkin, and David Hartman. Crisis and Leadership: Epistles of Maimonides (Philadelphia: Jewish Publication Society of America, 1985) pp. 15-35.
1. Pourquoi pensez-vous qu’Élie avait besoin d’avoir cette vision ?
2. Pourquoi D.ieu ne révèle-t-il que d’une voix tranquille et calme ?
3. Quels sont les avantages et les inconvénients du zèle ?
With thanks to the Wohl Legacy for their generous sponsorship of Covenant &
Conversation.
Maurice was a visionary philanthropist. Vivienne was a woman of the deepest humility.
Together, they were a unique partnership of dedication and grace, for whom living was
giving.
Elie et la petite voix douce
פינחס
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Alors, la voix divine s'adressa à lui, disant : “Que fais-tu là, Élie ?” Il répondit : "J’ai fait éclater mon zèle pour toi, Seigneur, D.ieu-Cebaot…” La voix reprit : “Sors, et tiens-toi sur la montagne pour attendre le Seigneur !” Et le Seigneur se manifesta. Devant lui, un vent intense et violent, entrouvrant les monts et brisant les rochers, mais dans ce vent n'était point le Seigneur. Après le vent, une forte secousse ; le Seigneur n'y était pas encore. Après la secousse, un feu ; le Seigneur n'était point dans le feu. Puis, après le feu, un doux et subtil murmure. (I Rois 19:9-12)
En 1165, les juifs marocains furent confrontés à une question dramatique. Une secte musulmane fanatique, les Almohades, avaient pris le pouvoir au Maroc et instaurèrent une politique de conversions forcées à l’islam. La communauté juive devait faire un choix : adopter la foi islamique ou mourir. Certains choisirent le martyre. D’autres optèrent pour l’exil. Mais certains cédèrent à la terreur et embrassèrent une autre religion. Cependant, plusieurs convertis continuèrent à pratiquer leur religion en cachette. Ils s’appelaient les anusim, les conversos, les crypto-juifs, ou comme les espagnols les ont ensuite appelés, les marranos, les marranes.
Pour les autres juifs, ils posaient un problème moral de taille. Comment devaient-ils être vus ? Extérieurement, ils avaient trahi leur communauté et leur héritage religieux. Par ailleurs, leur exemple était démoralisant. Ils affaiblissaient le désir de certains juifs qui étaient résolus à résister, peu importe à quel prix. Mais plusieurs crypto-juifs souhaitaient demeurer juifs, en accomplissant les commandements en cachette, et dès que possible, en allant à la synagogue prier.
L’un de convertis soumit cette question à un rabbin. Il affirmait qu’il s’était converti sous la contrainte, mais il demeurait un juif fidèle dans son cœur. Pouvait-il être méritant en observant le plus de préceptes possibles dans la sphère privée ? En d’autres termes, y avait-il de l’espoir pour lui en tant que juif ? La réponse du rabbin fut nette. Un juif qui avait embrassé l’islam avait perdu sa place dans la communauté juive. Il ne faisait plus partie de la maison d’Israël. Pour une telle personne, accomplir les commandements ne valait rien. Pire encore, c’était un péché. Le choix était fort et absolu : être juif ou ne pas l’être. Si vous choisissiez d’être juif, vous devriez être prêt à mourir plutôt qu’à faire des compromis. Si vous choisissiez de ne pas être juif, alors il ne fallait pas chercher à réintégrer la maison désertée.
Nous pouvons respecter la fermeté de la prise de position du rabbin. Il a établi, sans équivoque, le choix moral. Il y a des moments où l'héroïsme est un impératif catégorique pour la foi. Rien de moins ne fera l’affaire. Sa réponse, aussi dure soit-elle, n’est pas dépourvue de courage. Mais un autre rabbin n’était pas d’accord.
Le nom du premier rabbin nous est inconnu, mais celui du second ne l’est pas. Son nom était Moïse Maïmonide, le plus grand rabbin du Moyen Âge. Maïmonide n’était pas étranger à la persécution religieuse. Né à Cordoue en 1135, il avait été contraint de quitter la ville avec sa famille, treize ans plus tard, lorsqu’elle tomba sous le contrôle des Almohades. Il erra pendant douze ans. En 1160, un assouplissement temporaire du règne Almohade permit à la famille de s’installer au Maroc. Cinq ans plus tard, il fut contraint de changer de pays à nouveau, s’installant d’abord en Israël puis en Égypte.
La réponse du rabbin au converti de force contraria Maïmonide à un point tel qu’il écrivit sa propre réponse. Dans celle-ci, il se détache nettement de la décision antérieure, fustigeant l’auteur qu’il décrit comme un “sage autoproclamé qui n’a jamais vécu ce que de si nombreuses communautés juives durent supporter lors des persécutions”.
La réponse de Maïmonide, intitulé le Iggeret ha-Shemad, (‘épître sur la persécution’) est un traité substantiel en bonne et due forme[1]. Compte tenu de la véhémence de son introduction, ce qui est frappant, c’est que ses conclusions sont bien moins exigeantes que la réponse antérieure. Si vous êtes confronté à de la persécution religieuse, dit Maïmonide, vous devez partir et vous installer ailleurs. ‘S’il est contraint de transgresser ne serait-ce qu’un seul précepte, il lui est interdit de rester ici. Il doit tout quitter et voyager nuit et jour jusqu’à ce qu’il trouve un endroit où il peut pratiquer sa religion’[2]. Cette position est préférable au martyre.
Cependant, celui qui choisit la mort plutôt que de renoncer à sa religion ‘a fait la bonne chose’[3] car il a donné sa vie pour la sainteté de D.ieu. Ce qui est inacceptable, c’est de ne rien faire et de se trouver des excuses, en se disant que si l’on commet un péché, c’est uniquement à cause de la pression. Agir ainsi signifie profaner le nom de D.ieu, ‘pas tout à fait volontairement, mais presque’.
Telles sont les conclusions de Maïmonide. Mais ce qui délimite et forge l’essentiel de son propos constitue une défense soutenue en faveur de ceux qui firent exactement ce que Maïmonide dit de ne pas faire. La lettre donne de l’espoir aux crypto-juifs. Ils ont fauté. Mais leur faute est pardonnable. Ils ont agi sous la contrainte et par peur de mourir. Ils restent juifs. Les actions qu’ils font en tant que juifs reçoivent toujours les faveurs de D.ieu. Deux fois plus même, car lorsqu’ils accomplissent un commandement, ce n’est pas dans l’objectif de trouver faveur aux yeux des autres. Ils savent que lorsqu’ils agissent en tant que juifs, ils risquent de se faire découvrir et de mourir. Leur adhésion secrète est héroïque en soi.
Ce qui n’allait pas dans la décision du premier Rabbin, ce fut sa persistance à penser qu’un juif qui cède à la terreur a renoncé à sa foi et doit être exclu de la communauté. Maïmonide insiste sur le fait que ce n’est pas le cas. “Ce n’est pas acceptable d’abandonner, de mépriser et de détester ceux qui transgressent le Chabbath. C’est notre devoir de se lier d’amitié avec eux et de les encourager à accomplir les commandements”[4]. En interprétant un verset avec beaucoup d’audace, il cite : “On ne méprise pas le voleur qui commet un larcin pour assouvir sa faim” (Proverbes 6:30). Les crypto-juifs qui viennent à la synagogue ont soif de prière. Ils “volent” des moments d’appartenance. Ils ne devraient pas être méprisés mais bien accueillis.
Cette lettre constitue un exemple magistral du plus complexe des défis moraux, à savoir celui de conjuguer commandement et miséricorde. Maïmonide ne nous laisse aucun doute sur ce que les juifs doivent faire. Mais en même temps, il ne fait aucun compromis dans sa défense de ceux qui manquent à leur devoir. Il ne donne pas son assentiment à ce qu’ils ont fait ; mais il défend ce qu’ils sont. Il nous demande de comprendre leur situation. Il leur octroie de l’espace pour se respecter. Il garde ouvertes les portes de la communauté.
Cet argument atteint son paroxysme lorsque Maïmonide cite une séquence remarquable de passages midrachiques dont le thème est que les prophètes ne devraient pas condamner leur peuple, mais plutôt le défendre devant D.ieu. Lorsque Moïse, chargé de faire sortir le peuple d’Égypte, a répondu : “Ils ne me croiront pas” (Exode 4:1), il avait raison. Le récit narratif subséquent suggère que les doutes de Moïse étaient fondés. Les Israélites étaient un peuple difficile à diriger. Mais le Midrach affirme que D.ieu a répondu la chose suivante à Moïse : “Ce sont des croyants, fils de croyants, mais toi (Moïse) tu ne croiras plus” (Chabbath 97a).
Maïmonide cite une série de passages similaires, puis affirme ensuite : si tel est le châtiment infligé aux piliers de l’univers, aux plus grands des prophètes, simplement parce qu’ils ont brièvement critiqué le peuple - bien qu’il était coupable des péchés dont il était accusé -, pouvons-nous seulement envisager le châtiment qui attend ceux qui critiquent les conversos ? Eux qui, sous la menace de mort et sans abandonner leur foi, se sont convertis à une autre religion en laquelle ils ne croyaient pas ?
Dans le courant de son analyse, Maïmonide se tourne vers le prophète Élie et le texte qui compose généralement la haftara de cette semaine. Sous le règne d’A’hab et de Jézabel, le culte de Baal était devenu le culte officiel. Les prophètes de D.ieu se faisaient tuer. Ceux qui étaient encore en vie se cachaient. Élie répondit en lançant un défi public au mont Carmel. Confronté à plus de quatre-cents représentants de Baal, il était déterminé à régler la question de la vérité religieuse une fois pour toute.
Il dit à l’assemblée de choisir l’une des deux voies : celle de D.ieu ou celle de Baal. Ils ne pouvaient plus continuer à “se tenir entre deux opinions.” D’une épreuve allait émerger la vérité. Si la vérité était du côté de Baal, un feu consumerait l’offrande préparée par les prêtres. Si la vérité était du côté D.ieu, un feu descendrait vers l’offrande d’Elie.
Elie remporta le défi. Le peuple s’écria : “Le Seigneur, c’est D.ieu.” Les prêtres de Baal furent défaits. Mais l’histoire ne se termine pas là. Jézabel émet un mandat demandant la mort d’Élie, qui s’échappe au mont Horeb. Il y reçoit une vision étrange, telle que nous l’avons vu au début de l’article de cette semaine. Il est amené à comprendre que D.ieu parle d’une “petite voix douce”.
Cet épisode est énigmatique. Il est rendu encore plus mystérieux par une caractéristique étrange du texte. Juste avant la vision, D.ieu dit : “Que fais-tu ici, Élie ?” et Elie répond : “J’ai fait éclater mon zèle pour toi, Seigneur…” (I Rois 19:9-10). Juste après la vision, D.ieu pose la même question, et Elie donne la même réponse (I Rois 19:13-14). Le Midrach transforme le texte en dialogue :
Le sens du Midrach est clair. Le zélote prend le parti de D.ieu. Mais D.ieu s’attend à ce que Ses prophètes soient des défenseurs et non pas des accusateurs. La question répétée et sa réponse doivent maintenant être comprises dans leur profondeur tragique. Élie se déclare être le zélote de D.ieu. On lui révèle que D.ieu n’est pas révélé dans la confrontation dramatique, pas dans la tempête, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu. D.ieu lui demande à nouveau : “Que fais-tu ici, Élie?” Élie réitère son zèle envers D.ieu. Il n’a pas compris que le leadership religieux fait appel à un autre genre de vertu, celle de la petite voix, douce et tranquille. D.ieu indique maintenant que quelqu’un d’autre doit diriger. Élie doit désormais donner les rênes à Élysée.
En temps troublés, il y a une tentation pratiquement irrésistible éprouvée par les dirigeants religieux d’aller à la confrontation. La vérité doit non seulement être proclamée, mais le mensonge doit aussi être dénoncé. Les choix doivent être délimités de manière claire. Ne pas condamner revient à tolérer. Le rabbin qui a condamné le conversos avait la foi en son cœur, la logique de son côté et Élie comme précédent.
Mais le Midrach et Maïmonide nous présentent un autre modèle. Un prophète n'entend pas un seul impératif mais bien deux : des directives et de la miséricorde, un amour de la vérité et une solidarité constante avec ceux pour qui la vérité s’est échappée. Préserver la tradition tout en défendant ceux que les autres condamnent est difficile, une tâche nécessaire de leadership religieux à une époque profane.
[1] Une traduction en anglais et un commentaire se trouve dans Abraham S. Halkin, and David Hartman. Crisis and Leadership: Epistles of Maimonides (Philadelphia: Jewish Publication Society of America, 1985) pp. 15-35.
[2] Ibid., 32.
[3] Ibid., 30.
[4] Ibid., 33.
[5] Chir Hachirim Rabba 1:6.
1. Pourquoi pensez-vous qu’Élie avait besoin d’avoir cette vision ?
2. Pourquoi D.ieu ne révèle-t-il que d’une voix tranquille et calme ?
3. Quels sont les avantages et les inconvénients du zèle ?
Maurice was a visionary philanthropist. Vivienne was a woman of the deepest humility.
Together, they were a unique partnership of dedication and grace, for whom living was giving.
La malédiction de la solitude
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