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La paracha de Émor comporte un chapitre dédié aux fêtes du calendrier juif. Il y a cinq passages semblables dans la Torah. Les deux premiers, qui se trouvent dans le livre de l’Exode (Ex. 23:14-17; 34:18, Ex. 22-23), sont très succincts. Ils font uniquement référence aux trois fêtes de pèlerinage, Pessa’h, Chavouot et Souccot. Ils ne mentionnent pas leurs dates, uniquement leur emplacement dans l’année agricole. Ils ne mentionnent pas non plus les commandements spécifiques liés aux fêtes.

Cela nous laisse avec trois autres fêtes, celle dans notre paracha, une autre dans les Nombres 28-29, et la troisième dans le Deutéronome 16. Ce qui est frappant, c’est à quel point elles sont différentes. Cela n’est pas, comme les critiques l’affirment, parce que la Torah est un document hétéroclite, mais plutôt parce qu’elle traite le sujet sous de nombreuses perspectives. C’est une caractéristique de l’esprit global de la Torah.

La longue section des fêtes dans le livre des Nombres est entièrement dédiée aux sacrifices spéciaux additionnels (le moussaf) apportés lors des jours saints incluant Chabbat et Roch ‘Hodech. Un souvenir de ces sacrifices est préservé dans les prières du Moussaf récité ces jours-là. Il s’agit de moments saints depuis la perspective du Tabernacle, du Temple, et plus tard de la synagogue.

Le récit du Deutéronome porte sur la société. Moïse, à la fin de sa vie, a dit à la prochaine génération d'où elle venait, vers où elle allait, et le type de société qu’elle devait construire. Elle devait être le contraire de l’Égypte. Elle devait aspirer à la justice, à la liberté et à la dignité humaine.

L’un des thèmes les plus importants du Deutéronome est son insistance à ce que le culte soit centralisé “dans l’endroit que D.ieu choisit”, qui s’avère être Jérusalem. L’unité divine devait se refléter dans l’unité de la nation, quelque chose qui ne pouvait pas être accompli si chaque tribu avait son propre temple ou sanctuaire. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’il s’agit des fêtes, le Deutéronome ne parle que de Pessa’h, Chavouot et Souccot, et pas de Roch Hachana et de Yom Kippour, car ce n’est que lors de ces trois fêtes qu’il y a une obligation de Aliyah la-regel, de pèlerinage au Temple.

L’accent mis par le Deutéronome sur l’inclusion sociale, qui n’est retrouvée nulle part ailleurs, est tout aussi significative : “toi, ton fils et ta fille, ton esclave et ta servante, le Lévite qui sera dans tes murs, l'étranger, l'orphelin et la veuve qui seront près de toi.” Le Deutéronome porte moins sur la spiritualité individuelle que sur la nature de société qui honore la présence de D.ieu en honorant nos semblables, en particulier ceux qui sont en marge de la société. L’idée selon laquelle nous pouvons servir D.ieu tout en étant indifférent ou méprisant envers autrui est une vision tout à fait étrangère au Deutéronome.

Ce qui nous laisse avec Émor, le récit de la paracha de cette semaine. Il est également distinctif. À la différence de l’Exode et des passages du Deutéronome, il inclut Roch Hachana et Yom Kippour. Il nous révèle également les Mitsvot spécifiques des fêtes, en particulier celles de Souccot : c’est le seul endroit dans lequel la Torah mentionne les arba minim, les “quatre espèces”, et le commandement d’habiter dans la Soucca.

Il comporte cependant plusieurs étrangetés structurelles. La plus frappante est l’inclusion de Chabbat dans la liste des fêtes. Cela n’est pas étrange en soi. Après tout, le Chabbat est l’un des jours saints. Ce qui est étrange, c’est la manière dont il fait référence au Chabbat :

L'Éternel parla ainsi à Moïse : “Parle aux enfants d'Israël et dis-leur les solennités [moadé] de l'Éternel, que vous devez célébrer [tikréou] comme convocations saintes [mikraé kodech]. Les voici, mes solennités : pendant six jours on se livrera au travail, mais le septième jour il y aura repos, repos solennel pour une sainte convocation [mikra kodech]: vous ne ferez aucun travail. Ce sera le Sabbat de l'Éternel, dans toutes vos habitations.”

Puis il y a une pause de paragraphe, après quoi tout le passage semble reprendre :

Voici les solennités [moadé] de l'Éternel, convocations saintes [mikraé kodech], que vous célébrerez [tikréou] en leur saison [be-moadam].

Cette structure, avec ses deux débuts, a troublé les commentateurs. Par ailleurs, la Torah semble ici qualifier le Chabbat de mo’ed, une saison, et un mikra kodech, une convocation sainte, ce qu’elle ne fait nulle part ailleurs. Comme Rachi l’affirme : “Qu’est-ce que le Chabbat a à voir avec les fêtes ?” Les fêtes sont des événements annuels, le Chabbat est hebdomadaire. Les fêtes dépendent du calendrier fixé par le Beth Din. C’est le sens de la phrase, “les convocations saintes, que vous célébrerez en leur saison désignée”. Le Chabbat cependant ne dépend pas d’un décret quelconque du Beth Din et est indépendant des calendriers solaire et lunaire. Sa sainteté provient directement de D.ieu et de l’aube de la Création. Joindre les deux sous un seul titre semble illogique. Le Chabbat est une chose, les moadim et les mikraé kodech en sont une autre. Qu’est-ce qui lie donc les deux ?

Rachi nous révèle que l’objectif est de mettre l’accent sur la sainteté des fêtes. “Quiconque profane les fêtes, c’est comme s’il avait profané le Chabbat, et quiconque observe les fêtes, c’est comme s’il avait observé le Chabbat.” L’argument que Rachi avance est que nous pouvons imaginer quelqu’un affirmant qu’il respecte le Chabbat car il a été donné par D.ieu, mais que les fêtes comportent une sainteté moindre, d’abord parce qu’il est permis d’accomplir certains travaux comme cuisiner et porter (d’un domaine privé à un domaine public), et aussi parce qu’elles dépendent d’un acte humain qui fixe le calendrier. L’inclusion du Chabbat parmi les fêtes réfute ce genre de raisonnement.

Le Ramban offre une toute autre explication. Le Chabbat est mentionné juste avant les fêtes, tout comme il est mentionné avant les instructions de Moïse au peuple de commencer la construction du Sanctuaire. Cela nous révèle que, tout comme le commandement de construire le Sanctuaire n’évince pas le Chabbat, le commandement de célébrer les fêtes n’évince pas non plus le Chabbat. Ainsi, bien que nous puissions cuisiner et porter lors des fêtes, il nous est interdit de le faire si une fête tombe le même jour que Chabbat.

L’explication la plus radicale a certainement été donnée par le Gaon de Vilna. Selon lui, les mots “Pendant six jours on se livrera au travail, mais le septième jour il y aura repos,” ne font pas référence aux jours de la semaine mais aux jours de l’année. Il existe sept jours saints spécifiés dans notre paracha : le premier et dernier jour de Pessa’h, un jour de Chavouot, Roch Hachana, Yom Kippour, le premier jour de Souccot et Chemini Atseret. Pour six des sept jours, nous avons le droit d’accomplir des travaux, comme cuisiner et et transporter, mais le septième jour, Yom Kippour, nous n’avons pas le droit, car il s’agit du “Chabbat des Chabbat” (voir verset 32). La Torah utilise deux expressions différentes pour l’interdiction de travailler lors des fêtes de manière générale, et lors du “septième jour.” Lors des fêtes, ce qui est interdit est la melekhet avodah, (“travail servile ou pesant”), alors que le septième jour, ce qui est interdit est la melakha, “tout travail” même s’il n’est pas pesant. Ainsi, Yom Kippour est à l’année ce que le Chabbat est à la semaine.

La lecture du Gaon de Vilna nous permet de voir quelque chose d’autre : le temps saint est calqué sur ce que j’ai nommé (dans l’introduction du Siddour) les fractales : le même schéma à des ampleurs différentes. La structure de la semaine, six jours de travail suivis d’un septième jour qui est saint, se reflète donc dans la structure de l’année, six jours d’une sainteté moindre puis un septième, Yom Kippour, d’une sainteté suprême. Comme nous le verrons dans deux chapitres (Lév. 25), le même cycle apparaît à une échelle encore plus grande : six années ordinaires suivies de l’année de Chemita, “jachère”.

Là où la Torah cherche à mettre l’accent sur la dimension de sainteté (le mot kodech apparaît pas moins de douze fois dans Lévitique 23), elle fait l’usage systématique du nombre et du concept de sept. Il n’y a donc pas uniquement sept jours saints dans le calendrier annuel. Il existe également sept paragraphes dans le chapitre. Le mot “sept” ou “dix-sept” se répète à plusieurs reprises (dix-huit fois) tout comme le mot pour le septième jour, Chabbat, dans l’une ou l’autre de ses formes (quinze fois). Le mot “moisson” apparaît sept fois.

Cependant, il me semble que le Lévitique 23 raconte également une autre histoire, une histoire profondément spirituelle. Rappelez-vous de notre propos (émis par Yéhouda Halevi et Ibn Ezra) indiquant que la quasi-totalité des quarante chapitres entre Exode 24 et Lévitique 25 constitue une digression provoquée par l’affirmation de Moché selon laquelle le peuple avait besoin que D.ieu soit proche. Il voulait le sentir non seulement au sommet de la montagne, mais également au milieu du camp ; non seulement comme un pouvoir terrifiant qui renverserait les empires et qui ouvrirait la mer, mais également comme une présence constante dans leur vie. C’est pour cela que D.ieu a donné le Tabernacle aux Israélites (Exode 25-40) et son service (tout le livre du Lévitique).

C’est la raison pour laquelle la liste des fêtes dans le Lévitique met l’accent non pas sur la dimension sociale que nous retrouvons dans le Deutéronome, ou sur la dimension sacrificielle que nous retrouvons dans les Nombres, mais plutôt sur la dimension spirituelle de la rencontre, de la proximité, le rendez-vous entre l’homme et le divin. Cela explique pourquoi nous retrouvons deux mots-clés dans ce chapitre, plus que dans tout autre. Le premier est mo’ed, et l’autre mikra kodech, et les deux sont plus profonds qu’ils ne le semblent.

Le mot mo’ed ne signifie pas uniquement “temps désigné”. Nous trouvons le même mot dans la phrase ohel mo’ed qui signifie “tente d’assignation”. Si le ohel mo’ed était l’endroit où l'homme et D.ieu se rencontraient, donc les mo’adim dans notre chapitre sont les moments au cours desquels nous rencontrons D.ieu. Cette idée est exprimée magnifiquement bien dans la dernière ligne de la chanson mystique que nous chantons lors du Chabbat, Yedid Nefech, “Hâte-Toi, Bien-aimé, il me tarde de Te rencontrer (mo’ed)”.Mo’ed signifie ici un rendez-vous amoureux, organisé entre des amants pour se retrouver à un moment et à un lieu définis.

En ce qui concerne la phrase mikra kodech, elle provient de la même racine que le mot qui octroie au livre son nom : Vayikra, c’est-à-dire, “être appelé avec amour.” Un mikra kodech n’est pas uniquement un jour saint. Il s’agit d’une rencontre à laquelle nous avons été appelés avec affection par Celui qui nous maintient proche de Lui.

La majorité du livre de Vayikra traite de la sainteté d’un lieu, le Tabernacle. Une partie de celui-ci traite de la sainteté du peuple, des Cohanim, des prêtres et d’Israël dans son ensemble, en tant que “royaume de prêtres”. Dans le chapitre 23, la Torah se tourne vers la sainteté du moment et des moments de sainteté.

Nous sommes des êtres spirituels mais nous sommes également des êtres physiques. Nous ne pouvons pas être spirituels, près de D.ieu, tout le temps. C’est la raison pour laquelle il existe des moments profanes et des moments saints. Mais un jour sur sept, nous cessons de travailler et pénétrons la présence du D.ieu de la création. Certains jours de l’année, lors des fêtes, nous célébrons le D.ieu de l’histoire. La sainteté du Chabbat est fixée par D.ieu Lui-même car Lui seul a créé l’univers. La sainteté des fêtes est partiellement fixée par nous (en fixant le calendrier), car l’histoire est un partenariat entre D.ieu et nous. Mais à deux égards, ils sont pareils. Ce sont tous deux des moments d’assignation (mo’ed), et ce sont tous deux des moments au cours desquels nous nous sentons appelés, convoqués, invités en tant que convives de D.ieu (mikra kodech).

Nous ne pouvons pas toujours être spirituels. D.ieu nous a donné un monde matériel dans lequel nous devons nous engager. Mais le septième jour de la semaine, et (à l’origine) sept jours dans l’année, D.ieu nous donne un moment unique lors duquel nous ressentons la proximité de la Chekhina et sommes baignés par l’éclat de l’amour de D.ieu.


questions a poser french table 5783 a la table de chabbath
  1. Pourquoi ne pouvons-nous pas toujours être spirituels, et en présence de D.ieu constamment ? 
  2. Pourquoi avons-nous besoin d’avoir des moments saints spécifiques pour être en présence de D.ieu ?
  3. De quelle manière les ‘Hagim et Chabbat nous aident à être proches de D.ieu ?

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