Certains commandements furent si étroitement compris par les Sages qu’ils les ont rendus presque impossible à appliquer. Un exemple est le ir ha-nidachat, la ville pervertie par l'idolâtrie, à propos de laquelle la Torah affirme que “tu passeras au fil de l'épée les habitants de cette ville” (Deutéronome 13:16). Un autre s’appelle le ben sorer oumoré, l’enfant dévoyé et rebelle, amené par ses parents au tribunal, et si reconnu coupable, était mis à mort (Deutéronome 21:18-21).
Dans les deux cas, certains Sages ont interprété la loi de manière si restrictive qu’ils disaient “il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais” de cas où la loi s’applique (Sanhédrin 71a). En ce qui concerne la ville pervertie, Rabbi Eliezer dit que si elle contenait une seule Mézouza, la loi n’était pas applicable (ibid). Dans le cas de l’enfant rebelle, Rabbi Yéhouda a enseigné que si la mère et le père n’avaient pas la même voix ou ne se ressemblaient pas, la loi ne s’appliquait pas (ibid). Selon ces interprétations, les deux lois n’ont jamais eu pour but d’être appliquées ; elles ont été écrites uniquement pour que “nous puissions les expliquer en détail et en recevoir une récompense”[1]. Elles avaient une fonction éducative, et non pas légale.
Dans la direction opposée, certaines lois revêtaient une portée beaucoup plus large qu’elles n’en avaient l’air à première vue. Un exemple frappant se trouve dans la Paracha de cette semaine. Il s’agit de la conduite d’un siège durant une guerre. La Torah affirme:
Si tu es arrêté longtemps au siège d'une ville que tu attaques pour t'en rendre maître, tu ne dois cependant pas en détruire les arbres en portant sur eux la cognée : ce sont eux qui te nourrissent, tu ne dois pas les abattre. Oui, l'arbre du champ c'est l'homme même, tu l'épargneras dans les travaux du siège. Seulement, l'arbre que tu sauras n'être pas un arbre fruitier, celui-là tu peux le sacrifier et l'abattre, pour l'employer à des travaux de siège contre la ville qui est en guerre avec toi, jusqu'à ce qu'elle succombe.
Deutéronome 20:19-20
L’interdiction de détruire les arbres fruitiers était connue sous le nom de bal tach’hit, “ne pas détruire”. À première vue, elle semble avoir un cadre très limité. Elle ne fait rien de plus que d’interdire une politique de “terre brûlée” pendant la guerre. Elle ne semble pas être applicable en temps de paix. Cependant, les Sages l’ont comprise de manière beaucoup plus large, en y incluant toute action de destruction inutile. Maïmonide énonce ainsi la loi : “Elle s’applique non seulement aux arbres, mais également à quiconque brise des récipients, déchire des vêtements, détruit un immeuble, bloque une source d’eau ou gaspille de la nourriture ; tous ces exemples sont des transgressions du commandement de bal tach’hit[2]. Cela constitue la base halakhique d’une éthique de responsabilité environnementale.
Pourquoi la tradition orale, ou du moins certains de ses délégués, réduit le cadre de la loi dans certains cas, et l’élargit dans d’autres ? La réponse brève est la suivante : nous ne le savons pas. La littérature rabbinique ne nous le révèle pas. Mais nous pouvons émettre des suppositions. Un possek, qui cherche à interpréter la loi divine dans des cas bien précis, tâchera de le faire en cohérence avec l’ensemble de l’édifice des enseignements bibliques. Si un texte semble contredire un principe de base de la loi juive, il sera compris de manière limitative, au moins par certains. Si, au contraire, il illustre un tel principe, il sera alors compris de manière globale.
La loi de la ville pervertie, où tous les habitants étaient condamnés à mort, semble contredire le principe de la justice individuelle. Lorsque Sodome était condamnée à un tel sort, la destruction de toute la population serait manifestement injuste : “Celui qui juge toute la terre n'exercera-t-il pas la justice ?”
La loi du fils têtu et rebelle est expliquée dans le Talmud par Rabbi Yossi Haglili comme suit : “La Torah a prédit sa destinée ultime.” Il a commencé par le vol. La probabilité est qu’il continue avec de la violence puis qu’il en arrive au meurtre. “La Torah a donc ordonné : qu’il meurt innocent plutôt que coupable.”[3] Il s’agit d’une punition préventive. L’enfant est davantage puni pour ce qu'il s'apprête à faire plutôt que pour ce qu’il a fait. Rabbi Chimon bar Yo’haï, qui a dit que la loi n’a jamais été appliquée et ne le serait jamais, a peut-être cru qu’il existe un principe contraire dans le judaïsme, que les gens ne sont jugés uniquement pour ce qu’ils ont fait, et non pas pour ce qu’il feront à l’avenir. Le châtiment punitif est justice ; le châtiment préventif ne l’est pas.
Je répète que tout cela n’est que spéculations. Il y a peut-être eu d’autres raisons en jeu. Mais il est logique de supposer que les Sages ont cherché à faire en sorte que leurs décisions individuelles soient en corrélation avec la structure de valeurs de la loi juive telle qu’ils l’avaient comprise. D’après cette perspective, la loi de la ville pervertie existe pour nous enseigner que l’idolâtrie, une fois acceptée en public, est contagieuse, tel que nous le voyons dans l’histoire des rois d’Israël. La loi de l’enfant têtu et rebelle est là pour nous enseigner à quel point la pente est raide depuis la délinquance juvénile jusqu’à la criminalité à l’âge adulte. La loi n’existe pas seulement pour réglementer, mais également pour éduquer.
Cependant, dans le cas du bal tach’hit, il y a un lien clair avec beaucoup d’autres éléments relevant de la loi et de la pensée juives. La Torah se soucie de ce qu’on appelle aujourd’hui la “durabilité”. Cela est particulièrement vrai des trois commandements qui enjoignent le repos périodique : le Chabbath, l’année sabbatique et le jubilé.
Lors du Chabbath, tout travail agricole est interdit “afin que ton bœuf et ton âne se reposent” (Exode 23:12). Il impose une limite sur notre intervention de la nature et la quête de la croissance économique. Nous avons conscience que nous sommes des créatures, et non pas uniquement des créateurs. La terre n’est pas la nôtre ; elle appartient à D.ieu. Pendant six jours, elle nous est octroyée, mais lors du septième, nous renonçons de manière symbolique à ce pouvoir. Nous ne pouvons accomplir aucun “travail”, c’est-à-dire une action qui modifie l’état de quelque chose pour servir un objectif de l’homme. Le Chabbath est un rappel hebdomadaire de l’intégrité de la nature et des limites de l’impact humain.
Ce que le Chabbath est aux êtres humains et aux animaux, l’année sabbatique et le jubilé le sont à la terre. La terre a aussi droit à un repos périodique. La Torah met en garde sur le fait que si les Israélites ne respectent pas cela, ils seront envoyés en exil. “Alors la terre acquittera la dette de ses chômages, tandis qu'elle restera désolée et que vous vivrez dans le pays de vos ennemis ; alors la terre chômera, et vous fera payer ses chômages” (Lévitique 26:34).
Il y a deux préoccupations qui sous-tendent cela. La première est environnementale. Comme Maïmonide l’a souligné, la terre qui est surexploitée s’érode et perd sa fertilité. Les Israélites ont donc reçu pour commandement de préserver le sol en lui allouant périodiquement des années de jachère, ne cherchant pas à assouvir des gains à court terme au détriment d’une désolation à long terme[4]. La deuxième, pas moins importante, est théologique, “car la terre est à moi, car vous n'êtes que des étrangers domiciliés chez moi.” (Lévitique 25:23)
Nous sommes des invités sur terre.
Il y a un autre ensemble de commandements qui nous met en garde contre une interférence trop importante avec la nature. La Torah interdit d’effectuer des croisements avec le bétail, de semer un champ avec des graines mélangées, et de porter un vêtement fabriqué de laine et de lin. Ces lois sont qualifiées de ‘houkim ou “décrets”. Na’hmanide a compris ce terme comme signifiant des “lois qui respectent l’intégrité de la nature”. Il a affirmé que le fait de mélanger des espèces revient à vouloir améliorer la création, ce qui constitue une offense envers le Créateur. Chaque espèce possède ses propres lois internes de développement et de reproduction, et ces dernières ne peuvent pas être trafiquées : “Celui qui combine deux espèces différentes change et défie ainsi l’oeuvre de la Création, comme s’il croyait que le Saint, béni soit-Il, n’a pas créé le monde de manière parfaite et qu’il souhaite maintenant l’améliorer en y ajoutant de nouvelles sortes de créature.”[5] Le Deutéronome comprend également une loi qui interdit de prendre un oisillon avec sa mère. Na’hmanide y voit la même problématique, celle de la protection des espèces. Bien que la Bible nous permette d’utiliser certains animaux en guise de nourriture, nous ne pouvons pas les abattre jusqu’à extinction.
Au 19e siècle, Chimchon Raphaël Hirsch a donné la plus puissante interprétation de la loi biblique. Il a affirmé que les décrets liés à la protection environnementale caractérisent le principe suivant : “le même respect que vous témoignez à l’humanité, vous devez également en faire preuve vis-à-vis de chaque créature inférieure, à la terre qui supporte et qui nourrit tout le monde, et au monde des plantes et des animaux.” Ils constituent une sorte de justice sociale appliquée au monde naturel : “Ils vous demandent de regarder tous les être vivants en tant que propriété divine. N’en détruis aucun, n’en abuse pas, n’en gaspille pas et fais usage de toute chose en faisant preuve de sagesse… Regarde chaque créature comme des serviteurs du foyer de la création.”[6]
Hirsch a également donné une interprétation novatrice sur la phrase de la Genèse 1 “Faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance.” Ce passage est déconcertant car, avant la création de l’homme, D.ieu était seul. Le “faisons”, dit Hirsch, fait référence au reste de la création. Puisque l’homme seul développerait la capacité de changer et mettrait potentiellement en danger le monde naturel, la nature elle-même a été consultée pour savoir si elle approuverait une telle chose. La condition sous-entendue est que les êtres humains ne peuvent utiliser la nature que pour l’améliorer, pas pour la mettre en péril. Tout le reste est ultra vires, au-delà de notre administration de la planète.
Dans ce contexte, une phrase dans la Genèse 2 revêt une importance capitale. L’homme fut placé dans le jardin d’Éden afin de “le cultiver et le soigner” (Genèse 2:15). Les deux verbes hébraïques sont importants. Le premier, le’ovdah, signifie littéralement “le servir”. L’homme n’est pas uniquement un maître, mais également un serviteur de la nature. Le deuxième, leshomrah, signifie “le garder”. C’est le verbe utilisé dans la législation toraïque ultérieure, décrivant les responsabilités d’un gardien de biens ne lui appartenant pas. Il doit faire preuve de vigilance dans sa garde et peut être responsable de perte par négligence. C’est probablement la meilleure définition succincte de la responsabilité de l’humanité envers la nature telle que la Bible la conçoit.
La domination de l’homme sur la nature est donc limitée par le prérequis de servir et de préserver. La fameuse histoire de la Genèse 2-3 ; manger du fruit défendu, et l’exil d’Eden qui s’ensuivit, renforce ce point. Nous ne pouvons pas faire ce que bon nous semble. Si nous franchissons les limites, un désastre s’ensuit. Tout cela est résumé en un Midrach simple :
“Lorsque D.ieu a créé l’homme, Il lui a montré l’étendue de la création et lui a dit : ‘Regarde toutes Mes œuvres, observe à quel point elles sont belles. Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour toi. Prends donc soin de ne pas détruire Mon monde, car si c’est le cas, il n’y aura personne pour réparer ce que tu as fait.”[7]
Nous sommes bien plus au courant que par le passé des dangers que fait peser sur l'écologie la poursuite insatiable du profit économique. Le sens de la tradition orale dans l’interprétation de “ne détruis point’, dans son acception globale et non restreinte, devrait nous inspirer dès à présent. Nous devrions élargir nos horizons de responsabilité environnementale dans l’intérêt des générations qui ne sont pas encore nées, et dans l’intérêt divin, dont les invités sur Terre sont… nous-mêmes.
Comment pensez-vous que les Sages savaient à quel moment interpréter une loi comme inapplicable, et à quel moment l’élargir pour englober tout un principe d’éthique juive ?
Que pensez-vous de cette idée selon laquelle nous sommes à la fois gardiens et invités sur Terre ?
Comment pouvons-nous assumer au mieux nos responsabilités environnementales en tant que communauté juive ?
With thanks to the Wohl Legacy for their generous sponsorship of Covenant &
Conversation.
Maurice was a visionary philanthropist. Vivienne was a woman of the deepest humility.
Together, they were a unique partnership of dedication and grace, for whom living was
giving.
Choftim Lors d’un dîner célébrant le travail d’un dirigeant communautaire, l’orateur invité a rendu honneur à ses nombreuses qualités : son dévouement, son travail intensif…
La Responsabilité Environnementale
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Choftim
Certains commandements furent si étroitement compris par les Sages qu’ils les ont rendus presque impossible à appliquer. Un exemple est le ir ha-nidachat, la ville pervertie par l'idolâtrie, à propos de laquelle la Torah affirme que “tu passeras au fil de l'épée les habitants de cette ville” (Deutéronome 13:16). Un autre s’appelle le ben sorer oumoré, l’enfant dévoyé et rebelle, amené par ses parents au tribunal, et si reconnu coupable, était mis à mort (Deutéronome 21:18-21).
Dans les deux cas, certains Sages ont interprété la loi de manière si restrictive qu’ils disaient “il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais” de cas où la loi s’applique (Sanhédrin 71a). En ce qui concerne la ville pervertie, Rabbi Eliezer dit que si elle contenait une seule Mézouza, la loi n’était pas applicable (ibid). Dans le cas de l’enfant rebelle, Rabbi Yéhouda a enseigné que si la mère et le père n’avaient pas la même voix ou ne se ressemblaient pas, la loi ne s’appliquait pas (ibid). Selon ces interprétations, les deux lois n’ont jamais eu pour but d’être appliquées ; elles ont été écrites uniquement pour que “nous puissions les expliquer en détail et en recevoir une récompense”[1]. Elles avaient une fonction éducative, et non pas légale.
Dans la direction opposée, certaines lois revêtaient une portée beaucoup plus large qu’elles n’en avaient l’air à première vue. Un exemple frappant se trouve dans la Paracha de cette semaine. Il s’agit de la conduite d’un siège durant une guerre. La Torah affirme:
L’interdiction de détruire les arbres fruitiers était connue sous le nom de bal tach’hit, “ne pas détruire”. À première vue, elle semble avoir un cadre très limité. Elle ne fait rien de plus que d’interdire une politique de “terre brûlée” pendant la guerre. Elle ne semble pas être applicable en temps de paix. Cependant, les Sages l’ont comprise de manière beaucoup plus large, en y incluant toute action de destruction inutile. Maïmonide énonce ainsi la loi : “Elle s’applique non seulement aux arbres, mais également à quiconque brise des récipients, déchire des vêtements, détruit un immeuble, bloque une source d’eau ou gaspille de la nourriture ; tous ces exemples sont des transgressions du commandement de bal tach’hit[2]. Cela constitue la base halakhique d’une éthique de responsabilité environnementale.
Pourquoi la tradition orale, ou du moins certains de ses délégués, réduit le cadre de la loi dans certains cas, et l’élargit dans d’autres ? La réponse brève est la suivante : nous ne le savons pas. La littérature rabbinique ne nous le révèle pas. Mais nous pouvons émettre des suppositions. Un possek, qui cherche à interpréter la loi divine dans des cas bien précis, tâchera de le faire en cohérence avec l’ensemble de l’édifice des enseignements bibliques. Si un texte semble contredire un principe de base de la loi juive, il sera compris de manière limitative, au moins par certains. Si, au contraire, il illustre un tel principe, il sera alors compris de manière globale.
La loi de la ville pervertie, où tous les habitants étaient condamnés à mort, semble contredire le principe de la justice individuelle. Lorsque Sodome était condamnée à un tel sort, la destruction de toute la population serait manifestement injuste : “Celui qui juge toute la terre n'exercera-t-il pas la justice ?”
La loi du fils têtu et rebelle est expliquée dans le Talmud par Rabbi Yossi Haglili comme suit : “La Torah a prédit sa destinée ultime.” Il a commencé par le vol. La probabilité est qu’il continue avec de la violence puis qu’il en arrive au meurtre. “La Torah a donc ordonné : qu’il meurt innocent plutôt que coupable.”[3] Il s’agit d’une punition préventive. L’enfant est davantage puni pour ce qu'il s'apprête à faire plutôt que pour ce qu’il a fait. Rabbi Chimon bar Yo’haï, qui a dit que la loi n’a jamais été appliquée et ne le serait jamais, a peut-être cru qu’il existe un principe contraire dans le judaïsme, que les gens ne sont jugés uniquement pour ce qu’ils ont fait, et non pas pour ce qu’il feront à l’avenir. Le châtiment punitif est justice ; le châtiment préventif ne l’est pas.
Je répète que tout cela n’est que spéculations. Il y a peut-être eu d’autres raisons en jeu. Mais il est logique de supposer que les Sages ont cherché à faire en sorte que leurs décisions individuelles soient en corrélation avec la structure de valeurs de la loi juive telle qu’ils l’avaient comprise. D’après cette perspective, la loi de la ville pervertie existe pour nous enseigner que l’idolâtrie, une fois acceptée en public, est contagieuse, tel que nous le voyons dans l’histoire des rois d’Israël. La loi de l’enfant têtu et rebelle est là pour nous enseigner à quel point la pente est raide depuis la délinquance juvénile jusqu’à la criminalité à l’âge adulte. La loi n’existe pas seulement pour réglementer, mais également pour éduquer.
Cependant, dans le cas du bal tach’hit, il y a un lien clair avec beaucoup d’autres éléments relevant de la loi et de la pensée juives. La Torah se soucie de ce qu’on appelle aujourd’hui la “durabilité”. Cela est particulièrement vrai des trois commandements qui enjoignent le repos périodique : le Chabbath, l’année sabbatique et le jubilé.
Lors du Chabbath, tout travail agricole est interdit “afin que ton bœuf et ton âne se reposent” (Exode 23:12). Il impose une limite sur notre intervention de la nature et la quête de la croissance économique. Nous avons conscience que nous sommes des créatures, et non pas uniquement des créateurs. La terre n’est pas la nôtre ; elle appartient à D.ieu. Pendant six jours, elle nous est octroyée, mais lors du septième, nous renonçons de manière symbolique à ce pouvoir. Nous ne pouvons accomplir aucun “travail”, c’est-à-dire une action qui modifie l’état de quelque chose pour servir un objectif de l’homme. Le Chabbath est un rappel hebdomadaire de l’intégrité de la nature et des limites de l’impact humain.
Ce que le Chabbath est aux êtres humains et aux animaux, l’année sabbatique et le jubilé le sont à la terre. La terre a aussi droit à un repos périodique. La Torah met en garde sur le fait que si les Israélites ne respectent pas cela, ils seront envoyés en exil. “Alors la terre acquittera la dette de ses chômages, tandis qu'elle restera désolée et que vous vivrez dans le pays de vos ennemis ; alors la terre chômera, et vous fera payer ses chômages” (Lévitique 26:34).
Il y a deux préoccupations qui sous-tendent cela. La première est environnementale. Comme Maïmonide l’a souligné, la terre qui est surexploitée s’érode et perd sa fertilité. Les Israélites ont donc reçu pour commandement de préserver le sol en lui allouant périodiquement des années de jachère, ne cherchant pas à assouvir des gains à court terme au détriment d’une désolation à long terme[4]. La deuxième, pas moins importante, est théologique, “car la terre est à moi, car vous n'êtes que des étrangers domiciliés chez moi.” (Lévitique 25:23)
Nous sommes des invités sur terre.
Il y a un autre ensemble de commandements qui nous met en garde contre une interférence trop importante avec la nature. La Torah interdit d’effectuer des croisements avec le bétail, de semer un champ avec des graines mélangées, et de porter un vêtement fabriqué de laine et de lin. Ces lois sont qualifiées de ‘houkim ou “décrets”. Na’hmanide a compris ce terme comme signifiant des “lois qui respectent l’intégrité de la nature”. Il a affirmé que le fait de mélanger des espèces revient à vouloir améliorer la création, ce qui constitue une offense envers le Créateur. Chaque espèce possède ses propres lois internes de développement et de reproduction, et ces dernières ne peuvent pas être trafiquées : “Celui qui combine deux espèces différentes change et défie ainsi l’oeuvre de la Création, comme s’il croyait que le Saint, béni soit-Il, n’a pas créé le monde de manière parfaite et qu’il souhaite maintenant l’améliorer en y ajoutant de nouvelles sortes de créature.”[5] Le Deutéronome comprend également une loi qui interdit de prendre un oisillon avec sa mère. Na’hmanide y voit la même problématique, celle de la protection des espèces. Bien que la Bible nous permette d’utiliser certains animaux en guise de nourriture, nous ne pouvons pas les abattre jusqu’à extinction.
Au 19e siècle, Chimchon Raphaël Hirsch a donné la plus puissante interprétation de la loi biblique. Il a affirmé que les décrets liés à la protection environnementale caractérisent le principe suivant : “le même respect que vous témoignez à l’humanité, vous devez également en faire preuve vis-à-vis de chaque créature inférieure, à la terre qui supporte et qui nourrit tout le monde, et au monde des plantes et des animaux.” Ils constituent une sorte de justice sociale appliquée au monde naturel : “Ils vous demandent de regarder tous les être vivants en tant que propriété divine. N’en détruis aucun, n’en abuse pas, n’en gaspille pas et fais usage de toute chose en faisant preuve de sagesse… Regarde chaque créature comme des serviteurs du foyer de la création.”[6]
Hirsch a également donné une interprétation novatrice sur la phrase de la Genèse 1 “Faisons l'homme à notre image, à notre ressemblance.” Ce passage est déconcertant car, avant la création de l’homme, D.ieu était seul. Le “faisons”, dit Hirsch, fait référence au reste de la création. Puisque l’homme seul développerait la capacité de changer et mettrait potentiellement en danger le monde naturel, la nature elle-même a été consultée pour savoir si elle approuverait une telle chose. La condition sous-entendue est que les êtres humains ne peuvent utiliser la nature que pour l’améliorer, pas pour la mettre en péril. Tout le reste est ultra vires, au-delà de notre administration de la planète.
Dans ce contexte, une phrase dans la Genèse 2 revêt une importance capitale. L’homme fut placé dans le jardin d’Éden afin de “le cultiver et le soigner” (Genèse 2:15). Les deux verbes hébraïques sont importants. Le premier, le’ovdah, signifie littéralement “le servir”. L’homme n’est pas uniquement un maître, mais également un serviteur de la nature. Le deuxième, leshomrah, signifie “le garder”. C’est le verbe utilisé dans la législation toraïque ultérieure, décrivant les responsabilités d’un gardien de biens ne lui appartenant pas. Il doit faire preuve de vigilance dans sa garde et peut être responsable de perte par négligence. C’est probablement la meilleure définition succincte de la responsabilité de l’humanité envers la nature telle que la Bible la conçoit.
La domination de l’homme sur la nature est donc limitée par le prérequis de servir et de préserver. La fameuse histoire de la Genèse 2-3 ; manger du fruit défendu, et l’exil d’Eden qui s’ensuivit, renforce ce point. Nous ne pouvons pas faire ce que bon nous semble. Si nous franchissons les limites, un désastre s’ensuit. Tout cela est résumé en un Midrach simple :
Nous sommes bien plus au courant que par le passé des dangers que fait peser sur l'écologie la poursuite insatiable du profit économique. Le sens de la tradition orale dans l’interprétation de “ne détruis point’, dans son acception globale et non restreinte, devrait nous inspirer dès à présent. Nous devrions élargir nos horizons de responsabilité environnementale dans l’intérêt des générations qui ne sont pas encore nées, et dans l’intérêt divin, dont les invités sur Terre sont… nous-mêmes.
[1] Tosefta Sanhédrin 11:6, 14:1.
[2] Hilkhot Melakhim 6:10.
[3] Michna Sanhédrin 8:5.
[4] Rambam, The Guide for the Perplexed, III:39.
[5] Ramban, Commentaire sur le Lévitique 19:19.
[6] S. R. Hirsch, The Nineteen Letters,Letter 11.
[7] Kohelet Rabbah 7:13.
Maurice was a visionary philanthropist. Vivienne was a woman of the deepest humility.
Together, they were a unique partnership of dedication and grace, for whom living was giving.
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