D’ici à la fin du livre de l’Exode, la Torah décrit en détail la construction du Michkan, la première maison de culte collectif du peuple juif. Des instructions précises sont fournies pour chaque ustensile, le Tabernacle lui-même, les cadres et les parures, ainsi que les divers objets qu’il contient, incluant leurs dimensions. Par exemple, nous lisons :
“Tu feras le tabernacle, à savoir dix tapis, qui seront faits de lin retors, de fils d'azur, de pourpre et d'écarlate et artistiquement damassés de chérubins. La longueur de chaque tapis sera de vingt-huit coudées ; la largeur, de quatre coudées par tapis : dimension uniforme pour tous les tapis… Puis tu feras des tapis en poil de chèvre, servant de pavillon au tabernacle ; tu les feras au nombre de onze. La longueur de chaque tapis sera de trente coudées ; la largeur, de quatre coudées par tapis : même dimension pour les onze tapis. Tu feras ensuite les solives destinées au tabernacle. Dix coudées seront la longueur de chaque solive ; une coudée et demie la largeur de chacune…”
Ex. 26:1-16
Et ainsi de suite. Mais pourquoi devons-nous connaître la grandeur du Tabernacle ? Il n’était pas éternel. Son usage premier était lors des années dans le désert. Il fut finalement remplacé par le Temple, une structure plus grande, magnifique. Quelle est donc la signification éternelle des dimensions de cette construction modeste et portative ?
Pour poser la question de façon plus précise : l’idée même d’une taille spécifique pour la demeure de la Chékhina, la présence divine, n’est-elle pas susceptible de prêter à confusion ? Un D.ieu transcendant ne peut pas être contenu dans l’espace. Salomon l’a dit :
"Mais est-ce qu'en vérité D.ieu résiderait sur la terre ? Alors que le ciel et tous les cieux ne sauraient te contenir, combien moins cette maison que je viens d'édifier !"
1 Rois 8:27
Isaïe a dit la même chose au nom de D.ieu Lui-même :
“Ainsi parle l'Éternel : "Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied : quelle est la maison que vous pourriez me bâtir, le lieu qui me servirait de résidence ?”
Lorsque D.ieu dit à Moïse, ‘Fais-moi un Tabernacle,’ Moïse, étonné, dit : “La gloire du Saint, béni soit-Il, remplit le ciel et la terre, et Il demande qu’on Lui construise un Tabernacle ?”… D.ieu répond : “Je ne pense pas comme tu penses. Vingt panneaux au nord, vingt au sud et huit à l’ouest suffisent. En effet, Je descendrai et confinerai ma présence même dans une coudée.”
Chémot Rabba 34:1
Quelle différence cela pouvait-il avoir que le Tabernacle était petit ou grand ? De toute manière, c’était un symbole, une attention de la présence divine qui est partout, là où les êtres humains ouvrent leur cœur à D.ieu. Ses dimensions ne devraient pas compter.
J’ai trouvé la réponse de manière inattendue et indirecte il y a quelques années. J’avais été à l’université de Cambridge pour participer à un échange sur la religion et la science. Lorsque la conférence fut terminée, un membre de l’audience s’avança vers moi, un homme silencieux, sans prétention, et dit, “J’ai écrit un livre qui je pense va vous intéresser. Je vous l’enverrai.” Je ne savais pas à l’époque qui il était.
Une semaine plus tard, le livre arriva. Il était intitulé ‘Just Six Numbers’ (Juste six chiffres) sous-titré ‘Les forces profondes qui façonnent l’univers’. Choqué, je découvris que l’auteur était Sir Martin à l’époque, maintenant Baron Rees, astronome royal, plus tard président de la société royale, le corps scientifique le plus ancien du monde, et maître du Trinity College de Cambridge. En 2011, il gagna le prix Templeton. J'ai parlé au scientifique le plus distingué d'Angleterre.
Son livre était captivant. Il expliquait que l’univers est façonné par six constantes mathématiques qui, si elles avaient varié d’un millionième ou billionième de degré, auraient abouti sur la non-création de l’univers ou l’absence de vie. Si la force de gravité avait été très légèrement différente, par exemple, l’univers se serait élargi ou aurait implosé de telle manière à empêcher la formation d’étoiles ou de planètes. Si l’efficience nucléaire avait été légèrement inférieure, le cosmos ne serait constitué que d’hydrogène ; aucune vie n’aurait émergé. Si elle avait été légèrement plus haute, il y aurait eu une évolution et une désintégration stellaire rapide ne laissant aucun temps à la vie d’évoluer. La combinaison d’improbabilités était immense.
Les commentateurs de la Torah, en particulier la regrettée Nechama Leibowitz, avaient attiré l’attention sur la manière dont la terminologie de la construction du Tabernacle est la même que celle qui fut utilisée pour décrire la création de l’univers par D.ieu. En d’autres termes, le Tabernacle était un microcosme, un rappel symbolique du monde que D.ieu avait créé. Le fait que la présence divine y résidait ne cherchait pas à suggérer que D.ieu est ici mais pas là, dans cet endroit et pas dans un autre. Il avait pour but d’être un signal, puissant et palpable, que D.ieu existe à travers le cosmos. Il s’agissait d’une structure conçue par l’homme pour réfléchir et se concentrer sur l’univers divinement créé. Le Michkan était à l’espace ce que le Chabbat était au temps : un rappel de la création.
Les dimensions de l’univers sont précises, mathématiquement exactes. Si elles avaient différé même du moindre degré, l’univers - ou la vie - n’existerait pas. Ce n’est que maintenant que les scientifiques commencent à réaliser à quel point ces connaissances, pourtant précises, sembleront rudimentaires aux générations futures. Nous sommes au seuil d’un bond quantique dans notre compréhension de la grande profondeur des paroles : “Que tes œuvres sont grandes, ô Seigneur ! Toutes, tu les as faites avec sagesse” (Ps. 104:24). Le mot “sagesse” ici, tout comme les nombreuses fois où il survient dans le récit de la construction du Tabernacle, signifie “un savoir-faire précis et exact.”[1]
Dans un autre endroit dans la Torah, une telle attention portée sur les dimensions précises apparaît dans l’épisode de l’arche de Noé :
Fais-toi une arche de bois de cyprès ; tu distribueras cette arche en cellules, et tu l'enduiras, en dedans et en dehors, de poix. Et voici comment tu la feras : trois cents coudées seront la longueur de l'arche ; cinquante coudées sa largeur, et trente coudées sa hauteur. Tu donneras du jour à l'arche, que tu réduiras, vers le haut, à la largeur d'une coudée ; tu placeras la porte de l'arche sur le côté.
Gen. 6:14-16
La raison est semblable au cas du Tabernacle. L’arche de Noé a symbolisé le monde dans son ordre divinement construit, l’ordre que les humains avaient ruiné par leur violence et leur corruption. D.ieu s’apprêtait à détruire le monde, laissant uniquement Noé, l’arche et ce qu’elle contenait comme les symboles du vestige de l’ordre qui restait, sur la base que D.ieu construirait un nouvel ordre.
La précision compte. L’ordre compte. Le fait de perdre même quelques-unes des 3,1 milliards de lettres dans le génome humain peut mener à des conditions génétiques dévastatrices. Le fameux effet papillon, le battement d’aile quelque part susceptible de causer un tsunami ailleurs, à des milliers de kilomètres, nous révèle que de petites actions peuvent avoir de grandes conséquences. C’est le message que le Tabernacle avait l’intention de transmettre.
D.ieu crée un ordre dans l’univers naturel. Nous avons pour tâche de créer un ordre dans l’univers humain. Cela signifie un souci méticuleux dans ce que nous disons, ce que nous faisons et ce que nous devons nous abstenir de faire. Il existe une chorégraphie précise à la vie morale et spirituelle puisqu’il existe une architecture précise au Tabernacle. Être bon, en particulier être saint, n’est pas une question d’agir alors que l’esprit nous motive. Il s’agit de nous aligner à la Volonté qui a fait le monde ; la loi, la structure, la précision de ces choses dont le cosmos est faite - et sans elles, qui cesserait d’exister. La Torah précise les dimensions exactes du Tabernacle et de l’arche de Noé afin de nous signaler qu’il en va de même pour le comportement humain.
L’architecture de la sainteté
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D’ici à la fin du livre de l’Exode, la Torah décrit en détail la construction du Michkan, la première maison de culte collectif du peuple juif. Des instructions précises sont fournies pour chaque ustensile, le Tabernacle lui-même, les cadres et les parures, ainsi que les divers objets qu’il contient, incluant leurs dimensions. Par exemple, nous lisons :
Et ainsi de suite. Mais pourquoi devons-nous connaître la grandeur du Tabernacle ? Il n’était pas éternel. Son usage premier était lors des années dans le désert. Il fut finalement remplacé par le Temple, une structure plus grande, magnifique. Quelle est donc la signification éternelle des dimensions de cette construction modeste et portative ?
Pour poser la question de façon plus précise : l’idée même d’une taille spécifique pour la demeure de la Chékhina, la présence divine, n’est-elle pas susceptible de prêter à confusion ? Un D.ieu transcendant ne peut pas être contenu dans l’espace. Salomon l’a dit :
Isaïe a dit la même chose au nom de D.ieu Lui-même :
Ainsi, aucun espace physique n’est assez grand. D’autre part, aucun espace n’est trop petit. Un Midrach frappant l’énonce :
Quelle différence cela pouvait-il avoir que le Tabernacle était petit ou grand ? De toute manière, c’était un symbole, une attention de la présence divine qui est partout, là où les êtres humains ouvrent leur cœur à D.ieu. Ses dimensions ne devraient pas compter.
J’ai trouvé la réponse de manière inattendue et indirecte il y a quelques années. J’avais été à l’université de Cambridge pour participer à un échange sur la religion et la science. Lorsque la conférence fut terminée, un membre de l’audience s’avança vers moi, un homme silencieux, sans prétention, et dit, “J’ai écrit un livre qui je pense va vous intéresser. Je vous l’enverrai.” Je ne savais pas à l’époque qui il était.
Une semaine plus tard, le livre arriva. Il était intitulé ‘Just Six Numbers’ (Juste six chiffres) sous-titré ‘Les forces profondes qui façonnent l’univers’. Choqué, je découvris que l’auteur était Sir Martin à l’époque, maintenant Baron Rees, astronome royal, plus tard président de la société royale, le corps scientifique le plus ancien du monde, et maître du Trinity College de Cambridge. En 2011, il gagna le prix Templeton. J'ai parlé au scientifique le plus distingué d'Angleterre.
Son livre était captivant. Il expliquait que l’univers est façonné par six constantes mathématiques qui, si elles avaient varié d’un millionième ou billionième de degré, auraient abouti sur la non-création de l’univers ou l’absence de vie. Si la force de gravité avait été très légèrement différente, par exemple, l’univers se serait élargi ou aurait implosé de telle manière à empêcher la formation d’étoiles ou de planètes. Si l’efficience nucléaire avait été légèrement inférieure, le cosmos ne serait constitué que d’hydrogène ; aucune vie n’aurait émergé. Si elle avait été légèrement plus haute, il y aurait eu une évolution et une désintégration stellaire rapide ne laissant aucun temps à la vie d’évoluer. La combinaison d’improbabilités était immense.
Les commentateurs de la Torah, en particulier la regrettée Nechama Leibowitz, avaient attiré l’attention sur la manière dont la terminologie de la construction du Tabernacle est la même que celle qui fut utilisée pour décrire la création de l’univers par D.ieu. En d’autres termes, le Tabernacle était un microcosme, un rappel symbolique du monde que D.ieu avait créé. Le fait que la présence divine y résidait ne cherchait pas à suggérer que D.ieu est ici mais pas là, dans cet endroit et pas dans un autre. Il avait pour but d’être un signal, puissant et palpable, que D.ieu existe à travers le cosmos. Il s’agissait d’une structure conçue par l’homme pour réfléchir et se concentrer sur l’univers divinement créé. Le Michkan était à l’espace ce que le Chabbat était au temps : un rappel de la création.
Les dimensions de l’univers sont précises, mathématiquement exactes. Si elles avaient différé même du moindre degré, l’univers - ou la vie - n’existerait pas. Ce n’est que maintenant que les scientifiques commencent à réaliser à quel point ces connaissances, pourtant précises, sembleront rudimentaires aux générations futures. Nous sommes au seuil d’un bond quantique dans notre compréhension de la grande profondeur des paroles : “Que tes œuvres sont grandes, ô Seigneur ! Toutes, tu les as faites avec sagesse” (Ps. 104:24). Le mot “sagesse” ici, tout comme les nombreuses fois où il survient dans le récit de la construction du Tabernacle, signifie “un savoir-faire précis et exact.”[1]
Dans un autre endroit dans la Torah, une telle attention portée sur les dimensions précises apparaît dans l’épisode de l’arche de Noé :
La raison est semblable au cas du Tabernacle. L’arche de Noé a symbolisé le monde dans son ordre divinement construit, l’ordre que les humains avaient ruiné par leur violence et leur corruption. D.ieu s’apprêtait à détruire le monde, laissant uniquement Noé, l’arche et ce qu’elle contenait comme les symboles du vestige de l’ordre qui restait, sur la base que D.ieu construirait un nouvel ordre.
La précision compte. L’ordre compte. Le fait de perdre même quelques-unes des 3,1 milliards de lettres dans le génome humain peut mener à des conditions génétiques dévastatrices. Le fameux effet papillon, le battement d’aile quelque part susceptible de causer un tsunami ailleurs, à des milliers de kilomètres, nous révèle que de petites actions peuvent avoir de grandes conséquences. C’est le message que le Tabernacle avait l’intention de transmettre.
D.ieu crée un ordre dans l’univers naturel. Nous avons pour tâche de créer un ordre dans l’univers humain. Cela signifie un souci méticuleux dans ce que nous disons, ce que nous faisons et ce que nous devons nous abstenir de faire. Il existe une chorégraphie précise à la vie morale et spirituelle puisqu’il existe une architecture précise au Tabernacle. Être bon, en particulier être saint, n’est pas une question d’agir alors que l’esprit nous motive. Il s’agit de nous aligner à la Volonté qui a fait le monde ; la loi, la structure, la précision de ces choses dont le cosmos est faite - et sans elles, qui cesserait d’exister. La Torah précise les dimensions exactes du Tabernacle et de l’arche de Noé afin de nous signaler qu’il en va de même pour le comportement humain.
[1] Voir Maïmonide, Le guide des égarés, III:54
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