lashon hara speech kills knife talk bubbles conversation

Les rabbins ont fait la morale sur la condition de tsara’at, souvent traduite comme la lèpre, le sujet prédominant des parachiot Tazria et Metsora. Ils ont affirmé qu’il s’agissait d’une punition plutôt que d’un état médical. Leur interprétation était basée sur l’évidence qui se trouvait dans les livres mosaïques eux-mêmes. La main de Moïse est devenue lépreuse lorsqu’il a douté de la volonté du peuple de croire en sa mission (Exode 4:6-7). Myriam fut frappée par la lèpre lorsqu’elle parla contre Moïse (Nombres 12:1-15). Le metsora (lépreux) était un motsi chem ra: quelqu’un qui faisait des remarques désobligeantes sur autrui.

La médisance, le lachon hara, était considéré par les Sages comme étant le pire des péchés. Voici comment Maïmonide le décrit :

Les Sages ont dit : il existe trois transgressions pour lesquelles une personne est punie dans ce monde et n’a pas de part au monde futur : l'idolâtrie, les relations interdites et le meurtre ; et la médisance est aussi grave que les trois péchés combinés. Ils ont également dit : quiconque parle avec une mauvaise langue est comme s’il avait renié D.ieu… La médisance tue trois personnes : celui qui parle, celui qui écoute et celui dont il est question.

Hilkhot Déot 7:3

Est-ce vraiment le cas ? Considérons deux exemples parmi tant d’autres. Au début du 13e siècle, une grande dispute éclata entre des adeptes et des critiques de Maïmonide. Pour les premiers, il comptait parmi les plus grands esprits juifs de tous les temps. Pour ces derniers, c’était un penseur dangereux dont les œuvres comportaient des hérésies et dont l’influence a incité les gens à abandonner les commandements. 

Il y eut des échanges féroces. Chaque partie s’est livrée à des condamnations et à des excommunications envers l’autre. Il y avait pamphlets et contre-pamphlets, sermons et contre-sermons, et pendant un certain temps, le monde juif français et espagnol était pris dans le tourbillon de la controverse. Puis, en 1232, les livres de Maïmonide furent brûlés par les dominicains. Le choc a apporté un bref répit ; puis des extrémistes profanèrent la tombe de Maïmonide à Tibériade. Au début des années 1240, à la suite de la disputation de Paris - le procès du Talmud -, les chrétiens brûlèrent toutes les copies du Talmud qu’ils purent trouver. Ce fut l’une des grandes tragédies du Moyen Âge.

Quel était le lien entre le conflit interne juif et le bûcher chrétien des ouvrages juifs ? Les dominicains avaient-ils profité des accusations juives d’hérésie contre Maïmonide pour y joindre leurs propres accusations ? Ou bien était-ce simplement parce qu’ils furent capables de tirer profit de la division au sein du monde juif, afin de procéder à leurs propres persécutions sans avoir peur de représailles juives concertées ? D’une manière ou d’une autre, à travers le Moyen Âge, la majorité des pires persécutions chrétiennes envers les juifs furent soit incitées par des juifs convertis, ou exploitées par des faiblesses internes de la communauté juive.

À l’ère moderne, l’un des plus brillants défenseurs de l’orthodoxie fut Rabbi Meir Loeb ben Yechiel Michal Malbim (1809-1879), grand rabbin de Roumanie ; un érudit hors norme, dont le commentaire sur le Tanakh est l’un des plus brillants du 19e siècle. Il fut d’abord accueilli par tous les groupes de la communauté juive en tant qu’homme érudit et d’une grande intégrité religieuse. Cependant, les juifs les plus “éclairés” ont vite découvert à leur mécontentement qu’il était un traditionaliste vigoureux, et ils commencèrent à inciter les autorités civiles à s’opposer à lui. Par des affiches et des pamphlets, ils le représentèrent comme une relique moyenâgeuse ignorante, un homme opposé au progrès et à l’esprit de son temps.

Un jour, à Pourim, ils lui ont offert un colis de nourriture qui contenait du porc et du crabe, avec un message d’accompagnement : “Nous, les progressistes locaux, sommes honorés de présenter ces mets délicats de notre table comme cadeau à notre sommité.” En fin de compte, suite à la campagne, le gouvernement retira sa reconnaissance officielle de la communauté juive, et du Malbim comme grand rabbin, et on lui interdit de donner des discours à la grande synagogue. Le vendredi 18 mars 1864, des policiers entourèrent sa maison tôt le matin, l'arrêtèrent et l’emprisonnèrent. Après le Chabbat, on le mit sur un bateau qui l'emmena à la frontière bulgare, où on le libéra à condition qu’il ne revienne jamais en Roumanie. Voici comment l’Encyclopaedia Judaica décrit la campagne :

Mr. Rosen publia divers documents démontrant les fausses accusations et les calomnies que les ennemis juifs assimilationnistes du Malbim ont écrit contre lui auprès du gouvernement roumain. Ils l’accusèrent de manquer de loyauté et d’obstruer l’assimilation sociale entre juifs et non-juifs, en insistant sur les lois alimentaires, affirmant : ‘par sa conduite et ses interdits, ce rabbin souhaite freiner notre progrès.’ Par la suite, le premier ministre de Roumanie a émis une proclamation contre “le rabbin ignare et insolent”... Par conséquent, le ministre a refusé d’octroyer des droits aux juifs de Bucarest, sous prétexte que le rabbin de la communauté était “l’ennemi juré du progrès”.

D’autres histoires similaires peuvent être racontées sur d’autres érudits d’exception ; parmi eux Rabbi Zvi Hirsch Chajes, Rabbi Azriel Hildesheimer, Rabbi Yitzhak Reines, et même le défunt Rabbi Joseph Soloveitchik de mémoire bénie, qui fut conduit au tribunal de Boston en 1941 suite à des accusations inventées de toutes pièces par la communauté juive locale. Même ces épisodes outrageux ne s’inscrivaient que dans la continuité de la guerre vicieuse menée contre le mouvement ‘hassidique par ses opposants, les mitnagdim, qui vit plusieurs dirigeants ‘hassidiques (entre autres le premier Rabbi de ‘Habad, Rabbi Chnéor Zalman de Lyadi) emprisonnés suite à un faux témoignage donné aux autorités locales par d’autres juifs.

Pour un peuple d’histoire, nous pouvons être étonnamment fermés aux leçons de l’Histoire. À maintes reprises, incapables de résoudre leurs propres conflits de façon civile et gracieuse, les juifs ont livré leurs opposants aux autorités locales, avec des résultats qui furent désastreux pour la communauté juive dans son ensemble. Malgré le fait que le judaïsme rabbinique soit dans son ensemble une culture d’argumentation, malgré le fait que le Talmud mentionne explicitement que les opinions de la maison d’Hillel étaient acceptées parce qu’elles étaient “douces, modestes, qu’ils enseignaient les opinions de leurs opposants avant les leurs” (Erouvin 13b)... malgré cela, les juifs ont continué de condamner, de dénoncer et même d’excommunier ceux dont ils ne comprenaient pas les opinions, même lorsque les objets de leur mépris (Maïmonide, le Malbim et les autres) furent les plus grands défenseurs de l’orthodoxie contre les défis intellectuels de leur époque.

De quoi les accusateurs étaient-ils coupables ? Seulement de médisance. Mais après tout, qu’est-ce que la médisance ? De simples paroles. Mais les paroles ont des conséquences. En rabaissant leurs opposants, les défenseurs autoproclamés de la religion se sont rabaissés et ont abaissé leur foi. Ils sont parvenus à donner l’impression que le judaïsme est une religion simple d’esprit, étroite et incapable de soutenir la complexité, impuissante devant les défis, une religion d’anathèmes plutôt que d’arguments, d’excommunications plutôt que de débats raisonnés. Maïmonide et le Malbim comprenaient leur foi de manière philosophique. Pourtant, il y a de quoi pleurer de voir une si grande tradition religieuse être traînée aussi bas.

Quelle vision stupéfiante était-ce de voir la lèpre, cette maladie défigurante, comme symbole et symptôme de médisance. Car nous sommes véritablement défigurés lorsque nous employons des mots qui condamnent au lieu de communiquer, qui ferment les esprits au lieu de les ouvrir, lorsque nous utilisons le langage comme une arme et que nous le manions avec brutalité. Le message de Metsora demeure. La violence linguistique n’est pas moins sauvage que la violence physique, et ceux qui affligent autrui sont eux-mêmes affligés. Les paroles blessent. La médisance détruit les communautés. Le langage est le plus beau cadeau que Dieu ait offert à l’humanité, et il doit être précieusement conservé pour que nous allions mieux, plutôt que pour blesser.


questions a poser french table 5783 a la table de chabbath
  1. Pensez-vous que le péché du lachon hara justifie la honte publique ? Pourquoi ?
  2. Où voyez-vous le plus de lachon hara dans le monde aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour y remédier ? 
  3. Pensez-vous que les réseaux sociaux font plus de mal que de bien dans le monde ?

More on Tazria, Métsora

Le Lachon Tov existe-t-il?

Les Sages ont considéré la tsara'at, le thème de la paracha de cette semaine, non pas comme une maladie mais comme une révélation publique miraculeuse…

Othello, Wikileaks et murs moisis

Ce fut la Septante, la première traduction grecque de la Bible hébraïque, qui traduisit la tsara'at, la maladie dont l’identification et la purification occupent une…