Ce n’est pas une coïncidence si la paracha Bo, qui traite des dernières plaies et de l’Exode, s’intéresse à trois reprises à la thématique des enfants et du devoir des parents de les éduquer.
En tant que Juifs, nous croyons que pour défendre un pays, il faut une armée, mais pour défendre une civilisation, il faut l’éducation. La liberté est perdue lorsqu'elle est prise pour acquise. À moins que les parents ne transmettent leurs souvenirs et leurs idéaux à la génération suivante - l’histoire de leur conquête de la liberté et des batailles qu’ils ont dû mener -, la grande aventure s’effrite et nous perdons le nord.
Cependant, la manière dont la Torah met l’accent sur le fait que les enfants doivent poser des questions est fascinante. Deux des trois passages de notre paracha en parlent :
Alors, quand vos enfants vous demanderont : ‘Que signifie pour vous ce rite ?’ vous répondrez : ‘C'est le sacrifice de la pâque en l'honneur de l'Éternel, qui épargna les demeures des Israélites en Égypte, alors qu'il frappa les Égyptiens et voulut préserver nos familles.’
Ex. 12:26-27
Et lorsque ton fils, un jour, te questionnera en disant : "Qu'est-ce que cela ?" tu lui répondras : "D'une main toute puissante, l'Éternel nous a fait sortir d'Égypte, d'une maison d'esclavage.
Ex. 13:14
Il existe un autre passage plus loin dans la Torah qui parle également d’une question posée par un enfant :
Quand ton fils t'interrogera un jour, disant : "Qu'est-ce que ces statuts, ces lois, ces règlements, que l'Éternel, notre D.ieu, vous a imposés ?" Tu répondras à ton fils : "Nous étions asservis à Pharaon, en Égypte, et l'Éternel nous en fit sortir d'une main puissante.”
Deut. 6:20-21
L’autre passage dans notre paracha, le seul qui ne mentionne pas une question, est :
‘C'est dans cette vue que l'Éternel a agi en ma faveur, quand je sortis d'Égypte.’
Ex. 13:8
Ces quatre passages sont devenus célèbres en raison de leur apparition dans la Haggada de Pessah. Il y a quatre enfants : un sage, un méchant ou rebelle, un simple et “celui qui ne sait pas questionner”. En les lisant ensemble, les Sages sont arrivés à la conclusion selon laquelle [1] les enfants doivent poser des questions, [2] le récit de Pessa’h doit être construit en réponse aux questions posées par un enfant et commencer par celles-ci, [3] il est du devoir d’un parent d’encourager son enfant à poser des questions, et l’enfant qui ne sait pas comment poser des questions doit être éduqué à le faire.
Il n’y a rien de naturel à cela. Au contraire, cela va dramatiquement à l'encontre de l’histoire. La plupart des cultures traditionnelles perçoivent comme étant la tâche d’un parent ou d’un enseignant d’instruire, de guider ou d’ordonner. Le rôle d’un enfant est d'obéir. “Les enfants devraient être vus, pas entendus,” dit le vieux proverbe anglais. “Enfants, soyez obéissants envers vos parents en toutes choses, car cela est plaisant pour le Seigneur,” dit un texte chrétien célèbre. Socrate, qui passa sa vie à enseigner aux gens à poser des questions, fut condamné par les citoyens d'Athènes pour avoir corrompu la jeunesse. Dans le judaïsme, c’est le contraire. Il est un devoir religieux d’enseigner à nos enfants à poser des questions. C’est de cette façon qu’ils grandissent.
Le judaïsme est le plus rare des phénomènes : une religion basée sur le fait de poser des questions, parfois des questions profondes et difficiles qui semblent ébranler les fondations de la foi elle-même. “Le juge de toute la terre ne serait-il pas juste ?” demanda Avraham. “D.ieu, pourquoi as-Tu affligé ce peuple ?” demanda Moïse. “Pourquoi les voies des impies prospèrent-elles ? Pourquoi les gens sans foi vivent en paix ?” demanda Jérémie. Le livre de Job s’articule largement autour de questions, et la réponse de D.ieu consiste en quatre chapitres de questions encore plus profondes : “Où étais-tu lorsque J’ai créé le monde… ? Peux-tu attraper le Léviathan avec un crochet ?... Fera-t-il un accord avec toi et te laissera-t-il devenir ton esclave pour la vie ?”
En Yéchiva, le plus haut compliment est de poser une bonne question : Du fregst a gutte kashe. Rabbi Abraham Twersky, un psychiatre profondément religieux, raconte que lorsqu’il était jeune, son enseignant se délectait des remises en question des arguments qu’il avançait. Dans son piètre anglais, il disait : “Tu as raison ! Tu as tout à fait raison ! Maintenant je vais te montrer où tu as tort.”
On demanda à Isadore Rabi, qui a remporté un prix Nobel en physique, pourquoi il devint un scientifique. Il répondit : “Ma mère a fait de moi un scientifique sans le savoir. Tous les autres enfants revenaient de l'école et on leur demandait, ‘Qu’as-tu appris aujourd’hui ?’ Mais ma mère me demandait : ‘Izzy, as-tu posé une bonne question aujourd’hui ?’ Cela fit la différence. Poser des bonnes questions a fait de moi un scientifique.”
Le judaïsme n’est pas une religion d'obéissance aveugle. En effet, de manière surprenante, dans une religion de 613 commandements, il n’y a pas de mot hebraïque qui signifie “obéir”. Lorsque la langue hébraïque fut ressuscitée en tant que langue vivante au dix-neuvième siècle, le verbe “obéir” était nécessaire, il fut donc emprunté de l’araméen : le-tsayet. Au lieu d’un mot qui signifie “obéir”, la Torah emploie le verbe “Chéma” qui est intraduisible en français car il signifie [1] écouter, [2] entendre [3] comprendre [4] internaliser et [5] répondre. L'idée selon laquelle notre plus grand devoir est de chercher à comprendre la volonté de D.ieu, et pas uniquement d'obéir aveuglément, est inscrite dans la structure même de la conscience hébraïque.
Le verset de Tennyson, “Ils n’ont pas à se demander pourquoi, ils doivent seulement vivre ou mourir” est aux antipodes de la pensée juive. Pourquoi ? Car nous croyons que l’intelligence est le plus grand cadeau de D.ieu envers l’humanité. Rachi comprend la phrase que D.ieu a fait l’homme “à Son image, à Sa ressemblance” comme signifiant que D.ieu nous a donné la capacité de “comprendre et de discerner”. Notre toute première requête de la ‘Amida des jours de semaine est celle de “la connaissance, de l’intelligence et du discernement.” L’une des institutions les plus audacieuses des rabbins fut de formuler une bénédiction à réciter à la vue d’un érudit non-juif. Non seulement ils reconnaissaient la sagesse dans les cultures autres que la leur, mais ils remerciaient D.ieu pour cela. Combien cette idée est éloignée de l’étroitesse d’esprit qui a trop souvent rabaissé et diminué les religions, passées et actuelles.
L’historien Paul Johnson a écrit un jour que le judaïsme rabbinique était “une machine sociale ancienne et hautement efficace pour la production d’intellectuels.” Cela a grandement à voir avec la priorité absolue que les Juifs ont placé en l’éducation, les écoles, le Beth Midrach, l’étude religieuse comme acte plus grand même que la prière, l’étude comme un engagement de toute une vie, et l’enseignement comme la plus noble vocation de la vie religieuse.
Mais bien des choses ont à voir avec la manière dont une personne étudie et enseigne à ses enfants. La Torah l’indique à l’un des moments les plus forts et poignants de l’histoire juive, tandis que les Israélites s’apprêtent à quitter l’Égypte et à commencer leur vie en tant que peuple libre sous la souveraineté de D.ieu. “Transmettez la mémoire de ce moment à vos enfants”, dit Moïse. Mais ne vous y prenez pas de manière autoritaire. Encouragez vos enfants à poser des questions, à interroger, à enquêter, à analyser et à explorer. La liberté signifie la liberté d’esprit, pas uniquement du corps. Ceux qui sont confiants dans leur foi n’ont aucune peur des questions. Ce sont uniquement ceux qui manquent de confiance, qui nourrissent des doutes secrets et refoulés, qui ont peur.
Toutefois, l’essentiel est de savoir et d’enseigner à nos enfants que toutes les questions n’ont pas une réponse que nous pouvons immédiatement comprendre. Il y a des idées que nous ne comprendrons entièrement qu’avec l’âge et l’expérience, d’autres qui requièrent une grande préparation intellectuelle, et d’autres qui seront peut-être au-delà de notre compréhension collective à cette étape de la quête humaine. Darwin n’a jamais su ce qu’était un gène. Mais le grand Newton, fondateur de la science moderne, comprit à quel point il comprenait peu, et l’a dit de manière si éloquente : “Je ne sais pas comment le monde me perçoit, mais à mes yeux, il me semble que je n’ai été qu’un petit garçon jouant au bord de la mer, et se divertissant en trouvant un galet plus lisse ou un coquillage plus joli que l’ordinaire, alors que le grand océan de vérité s'étendait devant moi sans que je le découvre.”
En enseignant aux enfants à poser des questions et à continuer d’en poser, le judaïsme honora ce que Maïmonide qualifiait “d’intellect actif” et l’a perçu comme un don de D.ieu. Aucune foi n’a davantage honoré l’intelligence humaine.
Pourquoi pensez-vous qu’autant de cultures croyaient de manière traditionnelle que les enfants “devraient être vus et pas entendus” alors que le judaïsme encourage les enfants à poser des questions ?
Rabbi Sacks note que toutes les questions n’ont pas une réponse immédiate que nous pouvons comprendre. Que ressentez-vous lorsque l’on vous donne ce genre de réponse à vos questions ? Comment gérez-vous cela ?
Il y a une idée selon laquelle les personnes confiantes dans leurs croyances n’ont pas peur des questions. Comment le fait de questionner peut renforcer les croyances plutôt que de les affaiblir ?
L’auteur américain Bruce Feiler a publié un livre à grand succès intitulé The Secrets of Happy Families (Les secrets des familles heureuses).[1] Il s’agit d’une…
La nécessité de poser des questions
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Ce n’est pas une coïncidence si la paracha Bo, qui traite des dernières plaies et de l’Exode, s’intéresse à trois reprises à la thématique des enfants et du devoir des parents de les éduquer.
En tant que Juifs, nous croyons que pour défendre un pays, il faut une armée, mais pour défendre une civilisation, il faut l’éducation. La liberté est perdue lorsqu'elle est prise pour acquise. À moins que les parents ne transmettent leurs souvenirs et leurs idéaux à la génération suivante - l’histoire de leur conquête de la liberté et des batailles qu’ils ont dû mener -, la grande aventure s’effrite et nous perdons le nord.
Cependant, la manière dont la Torah met l’accent sur le fait que les enfants doivent poser des questions est fascinante. Deux des trois passages de notre paracha en parlent :
Il existe un autre passage plus loin dans la Torah qui parle également d’une question posée par un enfant :
L’autre passage dans notre paracha, le seul qui ne mentionne pas une question, est :
Ces quatre passages sont devenus célèbres en raison de leur apparition dans la Haggada de Pessah. Il y a quatre enfants : un sage, un méchant ou rebelle, un simple et “celui qui ne sait pas questionner”. En les lisant ensemble, les Sages sont arrivés à la conclusion selon laquelle [1] les enfants doivent poser des questions, [2] le récit de Pessa’h doit être construit en réponse aux questions posées par un enfant et commencer par celles-ci, [3] il est du devoir d’un parent d’encourager son enfant à poser des questions, et l’enfant qui ne sait pas comment poser des questions doit être éduqué à le faire.
Il n’y a rien de naturel à cela. Au contraire, cela va dramatiquement à l'encontre de l’histoire. La plupart des cultures traditionnelles perçoivent comme étant la tâche d’un parent ou d’un enseignant d’instruire, de guider ou d’ordonner. Le rôle d’un enfant est d'obéir. “Les enfants devraient être vus, pas entendus,” dit le vieux proverbe anglais. “Enfants, soyez obéissants envers vos parents en toutes choses, car cela est plaisant pour le Seigneur,” dit un texte chrétien célèbre. Socrate, qui passa sa vie à enseigner aux gens à poser des questions, fut condamné par les citoyens d'Athènes pour avoir corrompu la jeunesse. Dans le judaïsme, c’est le contraire. Il est un devoir religieux d’enseigner à nos enfants à poser des questions. C’est de cette façon qu’ils grandissent.
Le judaïsme est le plus rare des phénomènes : une religion basée sur le fait de poser des questions, parfois des questions profondes et difficiles qui semblent ébranler les fondations de la foi elle-même. “Le juge de toute la terre ne serait-il pas juste ?” demanda Avraham. “D.ieu, pourquoi as-Tu affligé ce peuple ?” demanda Moïse. “Pourquoi les voies des impies prospèrent-elles ? Pourquoi les gens sans foi vivent en paix ?” demanda Jérémie. Le livre de Job s’articule largement autour de questions, et la réponse de D.ieu consiste en quatre chapitres de questions encore plus profondes : “Où étais-tu lorsque J’ai créé le monde… ? Peux-tu attraper le Léviathan avec un crochet ?... Fera-t-il un accord avec toi et te laissera-t-il devenir ton esclave pour la vie ?”
En Yéchiva, le plus haut compliment est de poser une bonne question : Du fregst a gutte kashe. Rabbi Abraham Twersky, un psychiatre profondément religieux, raconte que lorsqu’il était jeune, son enseignant se délectait des remises en question des arguments qu’il avançait. Dans son piètre anglais, il disait : “Tu as raison ! Tu as tout à fait raison ! Maintenant je vais te montrer où tu as tort.”
On demanda à Isadore Rabi, qui a remporté un prix Nobel en physique, pourquoi il devint un scientifique. Il répondit : “Ma mère a fait de moi un scientifique sans le savoir. Tous les autres enfants revenaient de l'école et on leur demandait, ‘Qu’as-tu appris aujourd’hui ?’ Mais ma mère me demandait : ‘Izzy, as-tu posé une bonne question aujourd’hui ?’ Cela fit la différence. Poser des bonnes questions a fait de moi un scientifique.”
Le judaïsme n’est pas une religion d'obéissance aveugle. En effet, de manière surprenante, dans une religion de 613 commandements, il n’y a pas de mot hebraïque qui signifie “obéir”. Lorsque la langue hébraïque fut ressuscitée en tant que langue vivante au dix-neuvième siècle, le verbe “obéir” était nécessaire, il fut donc emprunté de l’araméen : le-tsayet. Au lieu d’un mot qui signifie “obéir”, la Torah emploie le verbe “Chéma” qui est intraduisible en français car il signifie [1] écouter, [2] entendre [3] comprendre [4] internaliser et [5] répondre. L'idée selon laquelle notre plus grand devoir est de chercher à comprendre la volonté de D.ieu, et pas uniquement d'obéir aveuglément, est inscrite dans la structure même de la conscience hébraïque.
Le verset de Tennyson, “Ils n’ont pas à se demander pourquoi, ils doivent seulement vivre ou mourir” est aux antipodes de la pensée juive. Pourquoi ? Car nous croyons que l’intelligence est le plus grand cadeau de D.ieu envers l’humanité. Rachi comprend la phrase que D.ieu a fait l’homme “à Son image, à Sa ressemblance” comme signifiant que D.ieu nous a donné la capacité de “comprendre et de discerner”. Notre toute première requête de la ‘Amida des jours de semaine est celle de “la connaissance, de l’intelligence et du discernement.” L’une des institutions les plus audacieuses des rabbins fut de formuler une bénédiction à réciter à la vue d’un érudit non-juif. Non seulement ils reconnaissaient la sagesse dans les cultures autres que la leur, mais ils remerciaient D.ieu pour cela. Combien cette idée est éloignée de l’étroitesse d’esprit qui a trop souvent rabaissé et diminué les religions, passées et actuelles.
L’historien Paul Johnson a écrit un jour que le judaïsme rabbinique était “une machine sociale ancienne et hautement efficace pour la production d’intellectuels.” Cela a grandement à voir avec la priorité absolue que les Juifs ont placé en l’éducation, les écoles, le Beth Midrach, l’étude religieuse comme acte plus grand même que la prière, l’étude comme un engagement de toute une vie, et l’enseignement comme la plus noble vocation de la vie religieuse.
Mais bien des choses ont à voir avec la manière dont une personne étudie et enseigne à ses enfants. La Torah l’indique à l’un des moments les plus forts et poignants de l’histoire juive, tandis que les Israélites s’apprêtent à quitter l’Égypte et à commencer leur vie en tant que peuple libre sous la souveraineté de D.ieu. “Transmettez la mémoire de ce moment à vos enfants”, dit Moïse. Mais ne vous y prenez pas de manière autoritaire. Encouragez vos enfants à poser des questions, à interroger, à enquêter, à analyser et à explorer. La liberté signifie la liberté d’esprit, pas uniquement du corps. Ceux qui sont confiants dans leur foi n’ont aucune peur des questions. Ce sont uniquement ceux qui manquent de confiance, qui nourrissent des doutes secrets et refoulés, qui ont peur.
Toutefois, l’essentiel est de savoir et d’enseigner à nos enfants que toutes les questions n’ont pas une réponse que nous pouvons immédiatement comprendre. Il y a des idées que nous ne comprendrons entièrement qu’avec l’âge et l’expérience, d’autres qui requièrent une grande préparation intellectuelle, et d’autres qui seront peut-être au-delà de notre compréhension collective à cette étape de la quête humaine. Darwin n’a jamais su ce qu’était un gène. Mais le grand Newton, fondateur de la science moderne, comprit à quel point il comprenait peu, et l’a dit de manière si éloquente : “Je ne sais pas comment le monde me perçoit, mais à mes yeux, il me semble que je n’ai été qu’un petit garçon jouant au bord de la mer, et se divertissant en trouvant un galet plus lisse ou un coquillage plus joli que l’ordinaire, alors que le grand océan de vérité s'étendait devant moi sans que je le découvre.”
En enseignant aux enfants à poser des questions et à continuer d’en poser, le judaïsme honora ce que Maïmonide qualifiait “d’intellect actif” et l’a perçu comme un don de D.ieu. Aucune foi n’a davantage honoré l’intelligence humaine.
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