Le fondamentalisme religieux
Dans notre culture abrasive, où il semble que pour avancer dans la vie, vous avez besoin d’un doctorat en impolitesse, la pire insulte est d’être traité de fondamentaliste. Tu es croyant ? Tu dois être fou. Tu pries ? Tu dois être un fanatique. Tu observes les lois religieuses ? Tu dois être dangereux. Cela n’est pas surprenant qu’un célèbre attaché de presse s’est une fois exclamé: “Nous ne faisons pas dans le divin”.
Au-delà de ces critiques se cache une peur du fondamentalisme. Ceux qui croient aux fondamentaux de la religion semblent vivre dans le passé, opposés au présent, incapables de tolérance, enflammés dans la condamnation des non-croyants, et capables de faire preuve de violence. Il s’agit d’un point de vue terriblement glaçant, et qui fera beaucoup de tort à long terme.
Chaque religion a certainement, dans son histoire, des épisodes honteux. Tel était le message des prophètes. Chaque texte sacré comporte des passages qui peuvent susciter de la haine s’ils sont mal interprétés. C’est la raison pour laquelle les juifs, et pas uniquement les juifs, croient que les textes sacrés ont besoin de commentaires. Chaque système de croyance peut mal tourner. Cela s’applique aux croyances laïques tout comme aux croyances religieuses. Les deux grands substituts séculiers de la religion du vingtième siècle, le nazisme et le communisme, ont commencé par des rêves utopiques et se sont terminés dans les cauchemars de l’enfer. La différence est que la religion comporte en son sein ce que les alternatives laïques n’offrent pas : le concept du repentir, une volonté d’admettre que nous avons échoué. C’est la raison pour laquelle les idéaux laïques meurent tandis que le fait religieux perdure.
Non, ce qui ne va pas dans le terme ‘fondamentalisme’, c’est qu’il laisse entendre que les fondamentaux de la religion sont dangereux. Au contraire, les religions deviennent dangereuses lorsqu’on oublie leurs principes fondamentaux. Le D.ieu d’Avraham est le D.ieu de l’amour, pas de la guerre ; du pardon, pas de la vengeance ; de l’humilité, pas de l’arrogance ; de l’hospitalité, pas de l’hostilité. Avraham se bat et prie pour les gens de sa génération même si leur religion n’est pas la sienne. Il accueille des étrangers dans sa tente et fait la paix avec ses voisins. C’est l’ancêtre des juifs, des chrétiens et des musulmans. Tels sont les principes fondamentaux que nous sommes appelés à garder.
Une vision importante du libéralisme fait savoir qu’une société libre se construit forcément à travers le doute. Puisque nous ne sommes pas sûrs de nous, nous n’imposons pas nos certitudes sur les autres. Puisque nous avons peut-être tort, nous donnons aux autres la possibilité d’être en désaccord. Isaiah Berlin a conclu l’un de ses plus célèbres essais avec une citation de Joseph Schumpeter : “Réaliser la relative validité de ses convictions tout en les défendant stoïquement est ce qui distingue un homme civilisé d’un barbare”.
Je suis ému par cette idée. Elle est très noble. Mais en fin de compte, elle échoue. Si nos convictions sont seulement valides de manière relative, alors pourquoi les défendre coûte que coûte ? Si la bonté n’est que relativement bonne, pourquoi s’opposer à la cruauté qui est seulement relativement mauvaise ? Si tout ce que nous avons est le doute, nous nous retrouverons rapidement dans une situation mémorablement décrite par W. B. Yeats dans laquelle “les meilleurs manquent de conviction, alors que les pires sont remplis d’intensité passionnée”. Le relativisme n’est pas une défense de la liberté.
Un autre philosophe d’Oxford, John Plamenatz, se rapprochait bien plus de la vérité lorsqu’il a affirmé que la doctrine moderne de la liberté est née au dix-septième siècle à une époque de croyances religieuses conflictuelles et fortes. “La liberté de conscience est née non pas de l’indifférence, non pas du scepticisme, non pas de l’ouverture d’esprit, mais de la religion”, écrivait-il.
Comment cela ? Car les gens qui se souciaient intensément de leurs propres croyances religieuses réalisaient en fin de compte que ceux qui avaient des convictions tout à fait différentes ne se préoccupaient pas moins des leurs. Si je revendique le droit de pratiquer ma religion en toute liberté, puis-je t’empêcher de vivre la tienne ? C’est comme ça que le libéralisme européen est né, non pas à travers le relativisme mais dans la croyance religieuse que D.ieu ne veut pas que nous imposions notre religion aux autres par la force.
Le seul remède contre le fondamentalisme dangereux est le contre-fondamentalisme : la croyance, enracinée dans nos textes saints, dans la sainteté de la vie et la dignité de l’être humain, l’impératif de faire la paix, et le besoin de justice modérée par la miséricorde. Nous ne sommes pas des suites aveugles de gènes qui cherchent indéfiniment à se reproduire sans aucun but autre que celui de survivre. Nous sommes ici car nous avons été créés avec amour, et nous accomplissons notre mission en créant avec amour.
Ce sont les croyances que la plupart des juifs, des chrétiens et des musulmans partagent, ainsi que les fidèles d'autres religions, ou d’aucune. Ce sont les vrais principes fondamentaux. Ce qui compte maintenant, c’est qu’ils surmontent leurs dénégations.