Pourquoi est-ce Jacob, et non pas Abraham, Isaac ou Moïse, qui a été reconnu comme le véritable père du peuple juif ? Nous sommes appelés “la congrégation de Jacob”, “les enfants d’Israël”.
Jacob/Israël est l’homme dont nous portons le nom. Mais Jacob n’a pas commencé le périple juif, c’est Abraham. Jacob n’a pas connu d’épreuve comme Isaac lors de la Akéda. Il n’a pas sorti le peuple juif hors d’Égypte et ne leur a pas donné la Torah. Il est important de mentionner que tous ses enfants sont restés dans la tradition, à la différence d'Abraham et d’Isaac. Mais cela ne fait que repousser la question au prochain niveau. Pourquoi a-t-il réussi alors qu’Abraham et Isaac ont échoué ?
Il semblerait que la réponse se trouve dans la Paracha de Vayétsé et dans celle de Vayichla’h. Jacob était l’homme pour qui les plus grandes visions lui venaient la nuit lorsqu’il était seul, éloigné de la maison, en fuyant d’un danger à l’autre. Dans la Paracha de Vayétsé, fuyant Esaü, il s’arrête et se repose pour la nuit, avec seulement une pierre sur laquelle s’allonger, et il a une révélation :
Il eut un songe que voici : Une échelle était dressée sur la terre, son sommet atteignait le ciel et des messagers divins montaient et descendaient le long de cette échelle… Jacob, s'étant réveillé, s'écria: “Assurément, l'Éternel est présent en ce lieu et moi je l'ignorais.” Et, saisi de crainte, il ajouta : “Que ce lieu est redoutable ! Ceci n'est autre que la maison de l’Eternel et c'est ici la porte du ciel.”
Béréchit 28, 12–17
Dans la Paracha de Vayichla’h, fuyant Lavan et terrifié à l’idée de rencontrer Esaü à nouveau, il se bat au milieu de la nuit avec un étranger dont on ne connaît pas l’identité.
Et l’homme déclara :
“Jacob ne sera plus désormais ton nom, mais bien Israël ; car tu as jouté contre des puissances célestes et humaines et tu es resté fort.” … Jacob appela ce lieu Penïel "parce que j'ai vu un être divin face à face et que ma vie est restée sauve.”
Béréchit 32, 29–31
Tels sont les événements spirituels décisifs de la vie de Jacob, qui surviennent pourtant dans l’espace liminal (c’est-à-dire dans l’espace entre une chose et une autre, qui n’est ni un point de départ ni une destination), au moment où Jacob est en danger dans les deux directions, de là où il vient et là où il va. Mais c’est précisément lors de ces moments de vulnérabilité extrême qu’il rencontre D.ieu et trouve le courage de continuer malgré tous les obstacles qui se dressent sur son chemin.
Telle est la force que Jacob a léguée au peuple juif. Ce qui est remarquable, ça n’est pas que ce si petit peuple ait survécu des tragédies qui auraient certainement anéanti tout autre peuple : la destruction des deux Temples, les conquêtes babylonienne et romaine, les expulsions, les persécutions, les pogroms du Moyen-Âge, la montée de l’antisémitisme au dix-neuvième siècle en Europe, et l’Holocauste. Ce qui est remarquable, c’est qu’après chaque cataclysme, le judaïsme s’est renouvelé, atteignant de nouveaux sommets.
Durant l’exil babylonien, le judaïsme a approfondi son engagement envers la Torah. Après la destruction romaine de Jérusalem, il a produit les grands monuments littéraires de la Torah orale : le Midrach, la Michna et la Guémara. Durant le Moyen-Âge, il a produit les grands chefs-d’œuvre du droit, et des commentaires sur la Torah, ainsi que la poésie et la philosophie. Seulement trois ans après l’Holocauste, il a proclamé l’État d’Israël, le retour juif vers l’histoire après la nuit la plus noire de l’exil.
Lorsque je suis devenu Grand Rabbin, j’ai dû subir un examen médical. Le médecin m’a fait marcher sur un tapis roulant à un rythme rapide. “Qu’est-ce que vous vérifiez ?” Lui demandai-je. “Ma vitesse, ou la durée durant laquelle j’arrive à rester sur le tapis roulant ?” “Ni l’un ni l’autre”, m’a-t-il répondu. “Je vais examiner combien de temps cela prend pour que votre pouls revienne à la normale, après que vous soyez descendu du tapis roulant”. C’est là que j’ai réalisé que la santé était mesurée par le pouvoir du rétablissement. Cela est vrai pour tous, mais à plus forte raison pour les dirigeants et pour le peuple juif, une nation de dirigeants. (C’est cela que la phrase “une nation de prêtres” signifie, à mon avis, Exode 19, 6).
Les dirigeants endossent la responsabilité des crises. Cela fait partie intégrante du leadership. Lorsque l’on a demandé à Harold Macmillan, premier ministre d’Angleterre entre 1957 et 1963, quel fut l’aspect le plus difficile de sa gouvernance, il a répondu : “les événements, mes chers, les
événements”. De mauvaises choses peuvent survenir, et lorsqu’elles surviennent, le leader doit prendre les rênes afin que les autres puissent dormir la nuit.
Le leadership, en particulier lorsqu’il s’agit de l’esprit, est extrêmement stressant. Quatre personnages du Tanakh, Moïse, le prophète Elie, Jérémie et Yona, ont même imploré la mort plutôt que de continuer. Cela ne s’est pas seulement produit dans le passé lointain. Abraham Lincoln a souffert de dépression sévère. De même pour Winston Churchill, qui la surnommait son “chien noir”. Mahatma Gandhi et Martin Luther King Jr. ont tous les deux essayé de se suicider dans leur adolescence et sont passés à travers des phases dépressives dans leur vie adulte. La même chose s’est produite chez plusieurs artistes, parmi eux Michelangelo, Beethoven, et Van Gogh.
Est-ce la grandeur qui mène à des moments de désespoir, ou bien est-ce les moments de désespoir qui mènent à l’excellence ? Ceux qui dirigent internalisent-ils les moments de stress et de tensions de leur époque ? Ou bien est-ce ceux qui sont habitués au stress dans leur vie émotive qui trouvent du réconfort en menant des vies exceptionnelles ? Il n’y a aucune réponse qui soit assez convaincante qui existe dans la littérature jusqu’à présent. Mais Jacob était un individu plus volatile émotivement qu'Abraham, qui fut souvent serein devant de grandes épreuves, ou bien Isaac, qui était particulièrement détaché. Jacob avait peur, Jacob aimait, Jacob a passé plus de temps en exil que tout autre patriarche. Mais Jacob a été endurant et a persévéré. De tous les personnages de Béréchit, il est le grand survivant.
La capacité de survivre et de récupérer fait partie intégrante de ce qu’est un leader. C’est la volonté de vivre une vie remplie de risques qui distingue ce genre d’individus des autres. C’est ce qu’a déclaré Théodore Roosevelt dans l’un de ses plus grands discours jamais prononcés sur ce sujet :
“Ce n’est pas le critique qui importe ; pas l’homme qui signale comment le fort trébuche, ou comment l’accomplisseur d’actions aurait pu mieux les faire. La gloire revient à l’homme qui se trouve réellement dans l’arène ; l’homme au visage boursouflé par la poussière, la sueur et le sang ; l’homme qui quête vaillamment, qui se trompe, qui échoue de peu, encore et encore, – car il n’y a pas d’effort sans erreur ni échec – mais qui cherche vraiment à accomplir ses actions. L’homme qui connaît de grands enthousiasmes, les grandes dévotions, qui se dépense dans une cause noble. Lui qui, au mieux, connaît à sa fin le triomphe du haut accomplissement, et qui, au pire, s’il échoue, échoue au moins en ayant grandement osé, si bien que sa place ne se trouve jamais parmi ces froides et timides âmes qui ne connaissent ni la victoire, ni la défaite.”[1]
Jacob a enduré la rivalité avec Esaü, la rancœur de Laban, la tension entre ses femmes, la tension entre ses enfants, la mort prématurée de sa bien-aimée Rachel, et la perte de son fils favori Joseph pendant plus de vingt-deux ans. Il a déclaré à Pharaon : “Le nombre des années de mes pérégrinations a été court et malheureux” (Béréchit 47, 9). Mais sur le chemin, il a “rencontré” des anges, et peu importe qu’ils se soient battus avec lui ou qu’ils aient grimpé l’échelle jusqu’au ciel, ils ont illuminé la nuit avec une aura de transcendance.
Essayer, tomber, avoir peur mais continuer d’avancer : c’est ce que cela prend pour être un leader. C’était Jacob, l’homme qui, au plus bas de sa vie, avait la plus grande vision du ciel.
[1] Théodore Roosevelt, “Citizenship in a Republic”, discours donné à la Sorbonne, Paris, 23 Avril 1910.
Pensez-vous que la grandeur mène à des moments de désespoir ? Pensez-vous que des moments de désespoir puissent mener à l’excellence ?
Comment pouvons-nous appliquer ce message dans notre vie de tous les jours ?
Parmi toutes les histoires de la Torah, qu’est-ce qui est unique à propos de l’histoire de Jacob?
With thanks to the Wohl Legacy for their generous sponsorship of Covenant &
Conversation.
Maurice was a visionary philanthropist. Vivienne was a woman of the deepest humility.
Together, they were a unique partnership of dedication and grace, for whom living was
giving.
La lumière en période sombre
ויצא
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Pourquoi est-ce Jacob, et non pas Abraham, Isaac ou Moïse, qui a été reconnu comme le véritable père du peuple juif ? Nous sommes appelés “la congrégation de Jacob”, “les enfants d’Israël”.
Jacob/Israël est l’homme dont nous portons le nom. Mais Jacob n’a pas commencé le périple juif, c’est Abraham. Jacob n’a pas connu d’épreuve comme Isaac lors de la Akéda. Il n’a pas sorti le peuple juif hors d’Égypte et ne leur a pas donné la Torah. Il est important de mentionner que tous ses enfants sont restés dans la tradition, à la différence d'Abraham et d’Isaac. Mais cela ne fait que repousser la question au prochain niveau. Pourquoi a-t-il réussi alors qu’Abraham et Isaac ont échoué ?
Il semblerait que la réponse se trouve dans la Paracha de Vayétsé et dans celle de Vayichla’h. Jacob était l’homme pour qui les plus grandes visions lui venaient la nuit lorsqu’il était seul, éloigné de la maison, en fuyant d’un danger à l’autre. Dans la Paracha de Vayétsé, fuyant Esaü, il s’arrête et se repose pour la nuit, avec seulement une pierre sur laquelle s’allonger, et il a une révélation :
Dans la Paracha de Vayichla’h, fuyant Lavan et terrifié à l’idée de rencontrer Esaü à nouveau, il se bat au milieu de la nuit avec un étranger dont on ne connaît pas l’identité.
Et l’homme déclara :
Tels sont les événements spirituels décisifs de la vie de Jacob, qui surviennent pourtant dans l’espace liminal (c’est-à-dire dans l’espace entre une chose et une autre, qui n’est ni un point de départ ni une destination), au moment où Jacob est en danger dans les deux directions, de là où il vient et là où il va. Mais c’est précisément lors de ces moments de vulnérabilité extrême qu’il rencontre D.ieu et trouve le courage de continuer malgré tous les obstacles qui se dressent sur son chemin.
Telle est la force que Jacob a léguée au peuple juif. Ce qui est remarquable, ça n’est pas que ce si petit peuple ait survécu des tragédies qui auraient certainement anéanti tout autre peuple : la destruction des deux Temples, les conquêtes babylonienne et romaine, les expulsions, les persécutions, les pogroms du Moyen-Âge, la montée de l’antisémitisme au dix-neuvième siècle en Europe, et l’Holocauste. Ce qui est remarquable, c’est qu’après chaque cataclysme, le judaïsme s’est renouvelé, atteignant de nouveaux sommets.
Durant l’exil babylonien, le judaïsme a approfondi son engagement envers la Torah. Après la destruction romaine de Jérusalem, il a produit les grands monuments littéraires de la Torah orale : le Midrach, la Michna et la Guémara. Durant le Moyen-Âge, il a produit les grands chefs-d’œuvre du droit, et des commentaires sur la Torah, ainsi que la poésie et la philosophie. Seulement trois ans après l’Holocauste, il a proclamé l’État d’Israël, le retour juif vers l’histoire après la nuit la plus noire de l’exil.
Lorsque je suis devenu Grand Rabbin, j’ai dû subir un examen médical. Le médecin m’a fait marcher sur un tapis roulant à un rythme rapide. “Qu’est-ce que vous vérifiez ?” Lui demandai-je. “Ma vitesse, ou la durée durant laquelle j’arrive à rester sur le tapis roulant ?” “Ni l’un ni l’autre”, m’a-t-il répondu. “Je vais examiner combien de temps cela prend pour que votre pouls revienne à la normale, après que vous soyez descendu du tapis roulant”. C’est là que j’ai réalisé que la santé était mesurée par le pouvoir du rétablissement. Cela est vrai pour tous, mais à plus forte raison pour les dirigeants et pour le peuple juif, une nation de dirigeants. (C’est cela que la phrase “une nation de prêtres” signifie, à mon avis, Exode 19, 6).
Les dirigeants endossent la responsabilité des crises. Cela fait partie intégrante du leadership. Lorsque l’on a demandé à Harold Macmillan, premier ministre d’Angleterre entre 1957 et 1963, quel fut l’aspect le plus difficile de sa gouvernance, il a répondu : “les événements, mes chers, les
événements”. De mauvaises choses peuvent survenir, et lorsqu’elles surviennent, le leader doit prendre les rênes afin que les autres puissent dormir la nuit.
Le leadership, en particulier lorsqu’il s’agit de l’esprit, est extrêmement stressant. Quatre personnages du Tanakh, Moïse, le prophète Elie, Jérémie et Yona, ont même imploré la mort plutôt que de continuer. Cela ne s’est pas seulement produit dans le passé lointain. Abraham Lincoln a souffert de dépression sévère. De même pour Winston Churchill, qui la surnommait son “chien noir”. Mahatma Gandhi et Martin Luther King Jr. ont tous les deux essayé de se suicider dans leur adolescence et sont passés à travers des phases dépressives dans leur vie adulte. La même chose s’est produite chez plusieurs artistes, parmi eux Michelangelo, Beethoven, et Van Gogh.
Est-ce la grandeur qui mène à des moments de désespoir, ou bien est-ce les moments de désespoir qui mènent à l’excellence ? Ceux qui dirigent internalisent-ils les moments de stress et de tensions de leur époque ? Ou bien est-ce ceux qui sont habitués au stress dans leur vie émotive qui trouvent du réconfort en menant des vies exceptionnelles ? Il n’y a aucune réponse qui soit assez convaincante qui existe dans la littérature jusqu’à présent. Mais Jacob était un individu plus volatile émotivement qu'Abraham, qui fut souvent serein devant de grandes épreuves, ou bien Isaac, qui était particulièrement détaché. Jacob avait peur, Jacob aimait, Jacob a passé plus de temps en exil que tout autre patriarche. Mais Jacob a été endurant et a persévéré. De tous les personnages de Béréchit, il est le grand survivant.
La capacité de survivre et de récupérer fait partie intégrante de ce qu’est un leader. C’est la volonté de vivre une vie remplie de risques qui distingue ce genre d’individus des autres. C’est ce qu’a déclaré Théodore Roosevelt dans l’un de ses plus grands discours jamais prononcés sur ce sujet :
“Ce n’est pas le critique qui importe ; pas l’homme qui signale comment le fort trébuche, ou comment l’accomplisseur d’actions aurait pu mieux les faire. La gloire revient à l’homme qui se trouve réellement dans l’arène ; l’homme au visage boursouflé par la poussière, la sueur et le sang ; l’homme qui quête vaillamment, qui se trompe, qui échoue de peu, encore et encore, – car il n’y a pas d’effort sans erreur ni échec – mais qui cherche vraiment à accomplir ses actions. L’homme qui connaît de grands enthousiasmes, les grandes dévotions, qui se dépense dans une cause noble. Lui qui, au mieux, connaît à sa fin le triomphe du haut accomplissement, et qui, au pire, s’il échoue, échoue au moins en ayant grandement osé, si bien que sa place ne se trouve jamais parmi ces froides et timides âmes qui ne connaissent ni la victoire, ni la défaite.”[1]
Jacob a enduré la rivalité avec Esaü, la rancœur de Laban, la tension entre ses femmes, la tension entre ses enfants, la mort prématurée de sa bien-aimée Rachel, et la perte de son fils favori Joseph pendant plus de vingt-deux ans. Il a déclaré à Pharaon : “Le nombre des années de mes pérégrinations a été court et malheureux” (Béréchit 47, 9). Mais sur le chemin, il a “rencontré” des anges, et peu importe qu’ils se soient battus avec lui ou qu’ils aient grimpé l’échelle jusqu’au ciel, ils ont illuminé la nuit avec une aura de transcendance.
Essayer, tomber, avoir peur mais continuer d’avancer : c’est ce que cela prend pour être un leader. C’était Jacob, l’homme qui, au plus bas de sa vie, avait la plus grande vision du ciel.
[1] Théodore Roosevelt, “Citizenship in a Republic”, discours donné à la Sorbonne, Paris, 23 Avril 1910.
Maurice was a visionary philanthropist. Vivienne was a woman of the deepest humility.
Together, they were a unique partnership of dedication and grace, for whom living was giving.
Inspiration et transpiration
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