Les écoles religieuses
Les écoles religieuses - c’est du moins ce que leurs opposants affirment - divisent, sont rétrogrades, étroites d’esprit, isolationnistes, hostiles envers la science et l’esprit critique, incapables d’enseigner la tolérance à leurs élèves, et s’opposent fondamentalement aux valeurs d’une société libre. Ces allégations ne sont pas formulées à la légère, et elles ne devraient pas être prises à la légère non plus.
Si ces accusations sont véridiques, une question se pose naturellement. Pourquoi les parents sont-ils si nombreux à vouloir envoyer leurs enfants dans de telles écoles ? Souhaitent-ils tellement que leurs enfants aient l’esprit étroit et renfermé ? Est-ce leur ambition profonde d'élever des enfants qui seront intolérants ? Espèrent-ils secrètement que la prochaine génération vive comme à l’époque du Moyen Âge ? De telles personnes existent peut-être, mais je n’en ai pas encore rencontrées.
Voilà le paradoxe. Nous vivons à une l’époque qui est probablement la plus séculière depuis que l’Homo sapiens a posé le pied sur Terre, et l’Europe est son continent le plus laïque. Et pourtant, les écoles confessionnelles constituent l’industrie en croissance de notre époque. Les gens y aspirent de plus en plus, ils font des pieds et des mains pour que leurs enfants puissent intégrer ces institutions. Cela est aussi vrai pour les parents qui ne sont même pas religieux. Que se passe-t-il ?
La réponse simple est que les écoles religieuses tendent à avoir une réussite académique au-delà de la moyenne ; c’est en tout cas ce que les classements soulignent. Comment est-ce possible si la religion empêche ses étudiants d’avoir un esprit critique et décourage une pensée indépendante ? Voilà une question qui nécessite une réflexion profonde.
Je suggère comme réponse que les écoles religieuses ont une philosophie qui met l’accent sur le respect de l’autorité, les vertus du travail intensif, la discipline et un sens du devoir, ainsi qu’un engagement à suivre des idéaux nobles, une volonté d’apprendre, un sentiment de responsabilité sociale, une préférence pour un respect de soi qui s'acquiert, plutôt qu’une estime de soi qui n’est pas méritée, et enfin l’idée qu’un ordre moral objectif transcende les préférences personnelles subjectives.
Les parents que je rencontre craignent la dégringolade de la discipline dans plusieurs écoles. Ils lisent les actualités rapportant la violence et les drogues, la promiscuité et les grossesses chez les adolescentes, les familles disloquées et les adolescents rebelles. Ils sont préoccupés par le nombre inquiétant d’enfants qui quittent l’école sans avoir les bases rudimentaires en calcul, en écriture et en lecture. Ils ont en tête le rapport de l’Unicef de 2007 qui a démontré que les enfants britanniques étaient les moins heureux du monde développé. Ils sentent qu’il y a quelque chose qui ne va pas et ils ne veulent pas exposer leurs enfants à ce genre de risques.
Ces phénomènes ne sont pas le fait des écoles. Au contraire, il s’agit du résultat de notre culture en général, à laquelle nos enfants sont exposés à travers la télévision, les jeux vidéos, internet, le matérialisme et la superficialité de notre société contemporaine. Les parents ne sont peut-être pas religieux eux-mêmes - souvent, ils ne le sont pas - mais ils ont le sentiment que les écoles religieuses sanctuarisent les valeurs, la discipline et les devoirs du cœur qui se perdent ailleurs.
Il s’agit de mon avis provisoire. Je me trompe peut-être. Il y a une chose dont je suis convaincu en revanche, c’est que toutes les écoles font de leur mieux, mais elles manquent souvent désespérément de soutien de la part des parents, de la communauté locale et des médias. Comment peuvent-elles réparer ce qu’elles n’ont pas rompu d’elles-mêmes ? Nous nous attendons trop souvent à ce que les écoles fassent l’impossible. Les enseignants méritent notre plus grand respect. Ils sont les garants de notre civilisation et les dépositaires de notre avenir en commun. Mais comme le dicton africain le dit, il faut tout un village pour élever un enfant, et il faut donc une communauté pour soutenir une école ; or les communautés sont difficiles à trouver aujourd’hui. Une communauté s’inscrit dans le temps grâce à des croyances, des traditions, des rituels, des conventions et des codes communs : la proclamation régulière d’un sentiment d’appartenance commune.
Les communautés ont une plus longue pérennité que n’importe quel individu, elles préservent donc un respect du passé et une responsabilité pour l’avenir. Aujourd’hui, il est difficile de trouver une communauté authentique en dehors du monde religieux. Les modes de vie enclavés, les fan-clubs et les réseaux sociaux virtuels comme Twitter et Facebook sont des types de communautés qui n’entretiennent aucune relation présentielle entre leurs membres.
Ainsi, ce n’est pas vraiment la religion que prêchent les écoles religieuses qui les diffèrent des autres institutions, mais plutôt les communautés qui les construisent, soutiennent et maintiennent. Ce fait devrait aussi nous inciter à réfléchir. Car n’est-ce pas l’un des grands rôles de la religion que de préserver les valeurs et les institutions qui seraient autrement balayées par le temps ? D’une manière ou d’une autre, les critiques devraient s’intéresser à ce point : si les écoles religieuses sont si mauvaises, pourquoi des parents attentionnés et souvent athées pensent qu’elles sont si bonnes ?