La foi
Crédo signifie “je crois” en latin. En hébreu, nous disons ani ma’amin. Puisqu’il s’agit du dernier Crédo que j’écrirai en tant que grand-rabbin, j’ai pensé que j’y écrirais ce en quoi je crois.
Je crois que la foi fait partie intégrante de notre humanité. Il s’agit d’une attitude fondamentale de confiance qui va toujours au-delà des preuves disponibles, mais sans laquelle nous ne pourrions pas réaliser de grandes choses. Sans avoir foi en son prochain, nous ne pourrions jamais prendre le risque de la vulnérabilité en l’amour. Sans avoir foi en l’avenir, nous ne pourrions pas choisir d’avoir un enfant. Sans avoir foi en l'intelligibilité de l’univers, nous ne ferions pas de science. Sans avoir foi en nos concitoyens, nous n’aurions pas de société libre.
Et l’élément qui est à la base de tout dans l’Occident, c’est la foi en D.ieu qui a créé l’univers, qui a créé chaque être humain à Son image, peu importe sa couleur, sa race ou sa classe sociale, qui nous relève lorsque l’on trébuche, qui nous pardonne lorsque nous fautons, et qui nous demande de placer l’amour au centre de notre monde moral : l’amour du prochain, de l’étranger, l’amour de D.ieu. Celui qui exige une preuve avant d’avoir la foi ne comprend pas que la foi comporte toujours un risque. Il est toujours possible de vivre sans elle, mais une telle vie, selon les paroles de Macbeth, est “confinée, emprisonnée, ligotée… [par] le doute et la peur”. Sans la foi dans l’autre, je deviens cynique. Sans avoir foi dans les institutions financières, nous arrêtons d’investir et les économies s’effondrent. Sans avoir foi en ses concitoyens, les libertés démocratiques meurent.
Sans avoir foi en D.ieu, l’univers devient petit à petit dénué de sens. La vie cesse d’avoir un but objectif. La vie humaine n’est plus sacrée, ni nos promesses, devoirs et responsabilités. Les cultures qui perdent leur foi en la religion deviennent individualistes et relativistes. Les gens deviennent égocentriques et indépendants. Cela est ressenti tout d’abord comme une grande libération, mais cela mène au bout du compte à une perte de confiance, et sans confiance, les sociétés souffrent d’entropie : une perte d’énergie et d’ordre menant inexorablement au déclin et à l’affaiblissement.
La Grèce, dont la grandeur au cinquième et quatrième siècles avant l’ère chrétienne était inégalable, devint au troisième siècle avant l’ère chrétienne une société cynique, sceptiques, de stoïciens et d’épicuriens dont la gloire s’estompa à une vitesse fulgurante. L’Europe et les Lumières, qui ont placé leur foi dans le pouvoir de la science, sont finalement tombées entre les mains des idoles conjointes de la nation et de la race, s’affrontant au cours des deux guerres mondiales et laissant derrière elles des dizaines de millions de morts. Le communisme soviétique, la plus grande tentative de construire une société sur des principes scientifiques et sur l’ingénierie sociale, a détruit la liberté humaine jusqu’à ce qu’elle s’effondre sous le poids de ses propres morts.
Si la foi en D.ieu signifie quelque chose, elle signifie avoir de l’humilité ainsi que l’amour du prochain et de l’étranger. Malheureusement, la foi n’a pas toujours mené à ces choses. Elle peut parfois mener à de l’égocentrisme et à une haine de l’étranger. L’histoire de la religion a souvent été décrite comme du sang qui a coulé au nom de D.ieu, et cela n’est pas une consécration mais bien une profanation.
Aujourd’hui, dans plusieurs endroits du monde, je vois la religion qui est confondue avec une quête de pouvoir, comme si toute l’histoire tragique de l’humanité avait été oubliée. La Bible hébraïque nous raconte que le pouvoir appartient à D.ieu, qui l’utilise pour libérer les opprimés. La religion n’a rien à voir avec le pouvoir, et tout à voir avec le sacré et la bonté, ainsi que la quête de justice et de compassion. Lorsque la religion et la politique sont confondues, le résultat est désastreux pour les deux.
Les athées en colère de notre époque, bien éloignés de toute profondeur de réflexion, sont semblables à des individus dépourvus d’humour qui se demandent pourquoi les gens rient à une blague. Leur attitude n’a rien à voir avec la science, et tout à voir avec un manque d’imagination. Nous avons besoin de la science pour nous dire comment le monde fonctionne, et de la religion pour nous demander comment le monde devrait être.
Les deux sont nécessaires. Si chacune des disciplines est bien comprise, notre respect pour l’autre peut augmenter.
La foi est comprise en théorie, et prouvée dans l’action. Nous sommes devant la présence divine lors de prières, rituels, histoires et chansons. Ceux-ci nous élèvent au-delà de nous-même vers l’Éternel qui est au cœur de l’être, qui nous enseigne de remarquer Sa présence dans le visage de notre prochain, et qui nous mène à accomplir des gestes de bonté qui rendent la vie agréable en ce bas monde. La foi est le lien entre la loyauté et l’écoute qui nous attachent à D.ieu, et à travers Lui, à l’humanité toute entière. La foi, c’est la vie vécue à la lumière de l’amour.