Ce que les religions nous enseignent
Les athées ont tendance à penser que la religion repose sur D.ieu. C’est évidemment le cas. Mais si elle ne se résumait qu’à ça, la religion ne pourrait pas expliquer sa ténacité et son pouvoir, son emprise sur l'imagination humaine et sa capacité étrange d’unir et de diviser en même temps.
La religion repose également sur l’identité. Elle offre une réponse à une série de questions auxquelles la science ne peut pas répondre, et même ne pas comprendre. Qui suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Quelle est mon appartenance ? De quelle histoire fais-je partie ? De quelle façon suis-je lié à mes ancêtres ? Comment dois-je mener ma vie ?
Les grandes religions répondent à ces questions dans le cadre le plus élargi possible, et de la façon la plus enrichie qui soit. Elles célèbrent l’identité à l’aide d’histoires, de rituels, de célébrations, de prières et de jours saints. Elles parlent de l’univers, de la création, de la révélation et de la rédemption. Elles nous montrent des modèles de sages et de saints, d’héros et d’héroïnes, de vies exemplaires. Elles nous disent qui nous sommes et qui nous sommes appelés à être.
Les religions ne sont pas la seule source d’identité. Certains peuvent la trouver dans leur nationalité, d’autres dans leur travail, en particulier s’ils le perçoivent comme une vocation. Certains la trouvent dans une cause, d'autres dans leur équipe de football préférée (rappelez-vous du dicton de Bill Shankly : “Certaines personnes croient que le football est une question de vie ou de mort, mais je peux vous assurer que c’est bien plus que cela).
Devrions-nous avoir des identités ? Il y a eu des gens qui ont répondu non. Il y a eu des universalistes comme Socrate qui ont dit : “Je ne suis ni athée ni grec, mais un citoyen du monde”. Il y a des cosmopolites dont l’identité est “un peu de ceci et un peu de cela”, comme la recette de la soupe au poulet de ma grand-mère. Il y a des gens qui changent de modes de vie comme certaines personnes changent de vêtements. Il y a même des post-modernistes qui nient l’identité dans son ensemble. Selon eux, la vie n’est qu’une série d’épisodes sans aucun lien entre eux, comme la publicité à la télévision.
Une chose est claire : l’identité est devenue problématique dans le monde contemporain. Le sociologue Peter Berger a défini la modernité comme un état permanent de crise identitaire. La plupart des alternatives à l’identité religieuse ont des conséquences terribles. L’identité nationaliste à mené à deux guerres mondiales. L’ethnicité a mené au racisme et à l’Holocauste. La “cause” a, entre autres, conduit au communisme et à la Russie de Staline. Même le football, inoffensif la plupart du temps, peut mener à la violence. Pour ceux qui nient l’identité, il est assez difficile d’être tout le monde en général sans être quelqu’un en particulier. Même les cosmopolites ont tendance à être à l’aise en compagnie d’autres cosmopolites, et se sentent menacés en présence d'autres personnes aux identités plus affirmées.
Voilà une raison pour laquelle la religion est revenue sur le devant de la scène au vingt-et-unième siècle, en raison du déclin des alternatives laïques. La plupart d’entre nous avons besoin d’une identité comme moyen de nous sentir chez nous dans ce monde. Nous pouvons ainsi affirmer : “C’est mon histoire, voilà qui je suis”. C’est dans nos identités particulières que nous apprenons à vivre, à aimer, à créer des communautés et à cultiver nos responsabilités. Les meilleures identités parlent aux meilleurs anges de notre nature, en particulier lorsqu’elles comptent des modèles saints, des idéaux nobles et l’impératif d’aimer l’étranger.
Mais il existe un grand danger, et les personnes religieuses doivent l’admettre. Les identités religieuses furent une source de conflits à de trop nombreuses reprises. L’identité peut nous inciter à diviser le monde en deux : “nous” et eux”, la lumière contre les ténèbres. L’histoire des grandes religions monothéistes a été écrite avec les larmes causées par l’entrechoquement identitaire. Le grand problème non résolu auquel ces religions font face est le suivant : pouvons-nous faire de l’espace pour l’autre?
Je pense que oui. Le paradoxe de l’identité est que c’est précisément lorsque nous exprimons notre particularisme que nous touchons la sensibilité de l’autre, avec ses différences. Vous n’avez pas besoin d’être français pour aimer Flaubert, d’être russe pour admirer Tolstoï, ou japonais pour apprécier un haïku. Affirmer notre identité ne veut pas dire réfuter celle de l’autre. Je peux dire que c’est ce que je suis, sans insinuer qu’il s’agit de la seule bonne manière d’être. Si les juifs, les chrétiens et les musulmans peuvent atteindre cette générosité d’esprit, nous pourrons alors célébrer le fait que nous avons chacun une façon particulière de nous sentir chez nous au sein même de la magnifique diversité de l’humanité.