Réflexions : Un an plus tard
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Publié le 29 janvier 2009 dans le Times pour marquer la journée mondiale de l’Holocauste et de réfleter sur la visite des dirigeants religieux d’Angleterre à Auschwitz en Novembre 2008.
Un an après le 7 juillet, le jour où la terreur kamikaze fit irruption à Londres, nos premières pensées doivent aller aux victimes et à leurs familles. Nous sommes endeuillées pour ceux dont la vie fut brutalement fauchée. Nous prions pour les blessés et les familles des défunts. Ils ont souffert de blessures, à la fois physiques et psychologiques, qui risquent de ne jamais guérir. Les experts estiment qu’au moins un millier de personnes touchées par les explosions pourraient aujourd’hui souffrir de syndrome de stress post-traumatique.
Nous vivons à une époque où la capacité de concentration est limitée. Des évènements comme le 7 juillet captivent l’attention du monde entier. Puis quelque chose d’autre se produit ailleurs. Les informations passent à autre chose. Mais la douleur humaine demeure. Depuis trois ans, avec l’aide du Shabbaton Choir, Élaine et moi sommes partis en mission pour offrir de la musique aux victimes du terrorisme en Israël. Nous avons été extrêmement émus par leur courage. Mais nous avons pleuré l’immense et absurde barbarie des actes qui ont laissé ces plaies qui ne cicatriseront jamais complètement.
Un an plus tard, où en sommes-nous ? La première chose dont nous devons nous rappeler, c’est à quel point le public est resté calme. Les hommes politiques et la police savaient qu’une attaque terroriste à Londres était inévitable après les tragédies du 11 septembre, de Bali, d’Istanbul, de Beslan et de Madrid. Ce qu’ils craignaient n’était pas seulement l’événement en lui-même - les morts, les blessés, la confiance dans la sécurité quotidienne qui s’en trouvait bouleversé - mais également ses répercussions. Il y avait une crainte réelle qu’un mouvement de fureur ne s’empare de l’Angleterre, menant à des représailles dans des villes où les tensions religieuses et communautaires étaient déjà explosives.
Mais cela ne se produit pas. L’Angleterre s’est endeuillée avec une dignité silencieuse. La foule multiethnique qui s’est rassemblée au Trafalgar Square pour commémorer les victimes était unie par la douleur. Il n’y avait pas de colère. La crise est l’équivalent d’un bilan de santé complet d’un organisme. Londres fut examinée et sa santé se révéla solide. C’était l’Angleterre sous son meilleur jour.
Cependant, on découvrit avec stupeur que les kamikazes n’étaient pas étrangers au pays. Ils sont nés et ont suivi leurs études ici. Trois des quatre terroristes ont grandi à Leeds. Le quatrième a passé son adolescence à Huddersfield. Mohammad Sidique Kahn, le dirigeant du groupe, était un enseignant d’école primaire apprécié de ses collègues.
Efraim Halevy, ancien chef du Mossad, a écrit dans un de ses derniers livres, Man in the Shadows[1], que cela projette les attaques terroristes de Londres comme les plus sérieuses depuis le 11 septembre. La terreur ne s’introduit pas nécessairement dans une société de l’extérieur. Le virus peut être incubé de l’intérieur. La terreur n’est pas non plus l’apanage des chômeurs, des personnes mécontentes ou de celles qui ont une raison de nourrir un certain ressentiment. Grâce à plusieurs études, nous savons maintenant qu’il n’y a aucun milieu social ou profil psychologique qui permette d’identifier à l’avance un terroriste potentiel. La terreur ne donne aucun préavis avant de frapper.
Quelles directives le judaïsme et l’histoire juive nous donnent-ils dans de telles circonstances ? La première est qu’il n’y a aucune excuse religieuse pour justifier la terreur, et il n’y en aura jamais. La Torah affirme cela de la manière la plus dramatique possible, au début de l’histoire de la naissance de la civilisation. À l’époque de Noa’h, D.ieu vit les méfaits de l'homme (Genèse 6:5). Avec des paroles toujours frappantes aujourd’hui, le verset dit que “l'Éternel regretta d'avoir créé l'homme sur la Terre, et il s'affligea en lui-même” (Genèse 6:6).
Cela semble évident. Mais le professeur P. A. J. Waddington de la Reading University a souligné que les attentats de Londres furent suivies d’une série de dérobades : un déni de responsabilité (les terroristes étaient déséquilibrés), une culpabilisation des victimes (les londoniens portaient collectivement la culpabilité de la guerre en Irak) et un déni du bilan humain (le nombre de victimes du 7 juillet était infinitésimal comparé aux morts en Afghanistan et en Irak).
Il s’agit d’un relativisme poussé à l’extrême, un obscurcissement délibéré des principes de la responsabilité morale. Les sociétés libres ne sont pas défaites par la terreur, mais elles commencent à périr lorsqu'elles perdent leur sens de la moralité. Tant que des excuses sont formulées pour justifier la terreur, la liberté elle-même est en danger.
Le deuxième problème, et qui a de vraies conséquences sur l’avenir des sociétés européennes, est la manière dont les institutions des pays - les campus, les groupes professionnels, les associations humanitaires et les ONG - sont détournées à des finalités politiques sectaires. Elles sont transformées les unes après les autres en groupes de pression visant à influencer la politique étrangère des gouvernements par une combinaison de menaces, d’intimidation, de boycotts et l’instauration d’une atmosphère de peur.
C’est ainsi que le 7 juillet fut le résultat extrémiste d’un ensemble d’activités qui minent le tissu social des sociétés européennes, les unes après après les autres. Nous sommes maintenant arrivés à une situation dans laquelle les lointains conflits sont importés en Angleterre, empoisonnant l’atmosphère de confiance et de civilité sur laquelle la démocratie libérale repose.
À l’occasion du 350e anniversaire de la communauté juive d’Angleterre, nous avons eu raison de méditer la sagesse du conseil de Jérémie il y a plus de trente-six siècles : « Travaillez enfin à la prospérité de la ville où je vous ai relégués et implorez Dieu en sa faveur ; car sa prospérité est le gage de votre prospérité » (Jérémie 29:7). Chaque minorité a le devoir d’honorer largement les intérêts de la société à laquelle elle appartient : la liberté et la sécurité de la société sont les garants des nôtres.
[1] Efraim Halevy, Man in the Shadows: Inside the Middle East Crisis with a Man Who Led the Mossad (NewYork:St Martin’s Press, 2006).