La religion et la politique
L’élection de David Cameron en tant que dirigeant du parti conservateur a accéléré le pouls de la politique britannique, et quoique que je crois profondément que la politique et la religion ne doivent jamais s’entremêler, il y a des moments où il est important de prononcer quelques paroles de foi à propos de la vie politique.
En 1996, tandis qu’un parti avait été au pouvoir pendant presque une génération, j’ai demandé à un fonctionnaire ce qui représentait à ses yeux une plus grande menace pour la nation : l’arrivée au pouvoir d’un parti dont la plupart des membres n’avait aucune expérience au gouvernement, ou l’absence d’opposition forte. Sans hésitation, il a choisi la deuxième option. Il a affirmé que la politique vit par l’existence d’alternatives, la confrontation d’opinions ainsi que les débats houleux. Sans cela, la démocratie meurt.
Je réalisais instantanément qu’il avait clarifié pour moi la différence profonde entre la religion et la politique, et pourquoi aucun d’entre elles ne devrait empiéter sur les plates-bandes de l’autre.
La politique démocratique, le pire système jamais inventé en dehors de tous les autres, va au-delà de la règle de la majorité. Tel qu’Alexis de Tocqueville l’a dit, cela peut mener à la tyrannie de la majorité et à la perte de droits chez les minorités. Ses vertus sont qu’elle permet la résolution non-violente de conflits. Cela rend le changement de gouvernement possible sans révolution ou guerre civile. Mais par-dessus tout, elle protège la liberté d’expression du dissident.
La politique transforme en vertu ce que la religion perçoit parfois comme un vice, le fait que nous ne pensions pas tous pareil, que nous ayons des conflits d’intérêts, que nous voyons le monde avec des regards différents. La politique sait ce que la religion oublie parfois : l’imposition de la vérité par la force et la suppression de la dissidence par le pouvoir constitue la fin du pouvoir ainsi qu’un déni de la dignité humaine. Lorsque la religion pénètre l’arène politique, nous devrions répéter quotidiennement les fameuses paroles de Bunyan: “J’ai vu qu’il y avait un chemin vers l’enfer, même depuis les portes du Ciel”.
Facile à dire, mais derrière la démocratie libérale se cache un passé long et sanguinaire. Par deux fois dans l’histoire de l’Occident, la religion s’est révélée insuffisante dans la résolution de conflits. Le premier exemple s’est déroulé au premier siècle de l’ère commune, lorsque les juifs ont commencé leur rébellion désastreuse contre Rome. Cela a échoué en raison des rivalités fratricides qui avaient lieu entre les juifs eux-mêmes. Le résultat fut la destruction du deuxième temple ainsi qu’un exil qui a duré plus de 2000 ans. Ce fut la plus grande tragédie que les juifs s’infligèrent dans leur histoire.
Le deuxième exemple se tint en Europe chrétienne entre la Réforme de 1517 et le traité de Westphalie en 1648. Pendant plus d’un siècle, l’Europe était déchirée par des guerres religieuses, les chrétiens combattant les chrétiens comme les juifs le firent autrefois. Ces expériences enseignèrent aux juifs puis aux chrétiens à séparer la religion de la politique, l’influence du pouvoir, le rêve noble de la volonté à faire des compromis, qui nous permet de vivre harmonieusement aux côtés de ceux avec qui nous ne sommes pas d’accord.
Il peut sembler étrange que la caractéristique la plus importante de la démocratie libérale soit sa modestie. L’humilité est une vertu qui n’est pas toujours attribuée au personnel politique. Mais elle est construite au sein du système. L’état démocratique séculier ne nourrit pas l’ambition de détenir la vérité, de remplir les désirs métaphysiques de l’âme ou encore d’émettre des jugements sur les grandes questions éthiques. Il est là pour nous aider à s’accorder entre nous en apportant nos contributions au bien commun. C’est à ce jour la meilleure façon trouvée de nous permettre de nous sentir écoutés, nos points de vus pris en compte bien que pas toujours acceptés, nous permettant de bâtir une société que nous trouvons acceptable, voire même idéale.
Il y a quelque chose de noble dans la limitation de soi. La démocratie libérale fait ce que peu de religions réussirent à accomplir. Elle crée un espace pour la différence. Elle honore l’individu quelles que soient ses convictions. Elle permet aux sociétés de négocier le changement sans catastrophe. Elle nous enseigne l’art difficile de l’écoute à accorder à nos opposants et, tel qu’Isaïe l’a dit, de “raisonner ensemble” (Isaïe 1:18). Il s’agit de vertus modestes, mais nécessaires.
Nous vivons à une époque où les gens, pas seulement en Angleterre mais partout ailleurs, sont désabusés par les politiques sécularisées, et se tournent vers la religion. C’est en soi une bénédiction. La foi religieuse repose sur un noble effort de nous comprendre nous-même ainsi que notre rôle dans l’univers. Le souffle de l’esprit permet de remédier à l’étroitesse du monde matériel. Mais s’attendre à ce qu’il résolve des problèmes politiques est une invitation au désastre. La religion devient politique à ses risques et périls, et aux nôtres.