La Liberté d’Expression
Cette idée de Thought for the Day (Pensée du Jour) a été diffusée sur l’émission Radio 4 de la BBC intitulée Today.
L’une des actualités de cet été a été l’émergence d’un phénomène inquiétant d’abus sur les réseaux sociaux. Il y a eu l’intimidation d’un professeur de lettres classiques et des menaces envers des femmes qui menaient une campagne pour que le portrait de Jane Austen soit imprimé sur les billets de banque. Mais la plus inquiétante de toutes ces affaires, et de loin, est le lien établi entre un site, basé en Lettonie, et le suicide de quatre enfants, deux en Angleterre et deux en Irlande. La raison pour laquelle ce site est perçu comme dangereux est qu’il permet aux gens de publier des commentaires haineux et blessants en préservant leur anonymat. Plus de 60 millions de jeunes utilisent le site, y postent plus de 30 millions de messages par jour ; certains messages seront blessants, et certains destinataires vulnérables.
En somme, il s’agit d’un nouveau chapitre dans la plus vieille histoire du monde : utiliser les mots en tant qu’arme pour infliger à l’autre une douleur. Nouveau chapitre car, auparavant, la plupart des communications se déroulaient de visu et dans un certain contexte social, au sein duquel les parents, les enseignants et les amis étaient au courant de ce qui se produisait et pouvaient intervenir. Il y avait bien les auteurs de lettres anonymes occasionnelles ; mais, au moins, la souffrance infligée restait privée, pas publique à la façon dont les messages sur les réseaux sociaux sont couramment diffusés. En permettant aux gens de proférer des menaces sans visage, d’être agressif ou de propager de fausses rumeurs, les nouveaux sites offrent aux démons de notre nature la plus grande tentation à laquelle s’ajoute le maximum d’opportunités.
La mythologie grecque raconte l’histoire de l’anneau de Gygès qui faisait en sorte que celui qui le portait était invisible et pouvait s’en tirer dans n’importe quelle situation. Internet se rapproche à bien des égards de l’anneau de Gygès, permettant aux gens de se cacher derrière un masque d’invisibilité ; et même les fournisseurs d’accès internet peuvent aisément s’en sortir en changeant d’endroit, hors du champ de la règlementation.
Si la technologie est nouvelle, le défi moral est ancien. Les Sages du judaïsme se sont longuement exprimés sur les dangers de la médisance, matérialisée par des mots désobligeants, dégradants ou offensants. Ils la qualifient de péché capital et affirment qu’elle détruit trois personnes : celui qui la profère, celui contre qui elle est dite et celui qui l’écoute. Les mots font mal ; ils heurtent, ils blessent. Et chaque nouvelle technologie qui nous permet de partager des propos plus aisément fait appel à une attention renouvelée de l’éthique de la communication. La liberté d’expression ne signifie pas une expression qui enfreint tout. Elle entend une expression respectant la liberté et la dignité d’autrui. Faites fi de cela et vous verrez que la liberté d’expression aura un prix très lourd.